1158227 1340 4a690e23cc46a2fe7413dd5a68d71a68 Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mon cher collègue Bruno Retailleau, auteur de la proposition de loi, mes chers collègues, si nous avons ici tous à l’esprit les conséquences du naufrage de l’Erika, qui a inspiré cette proposition de loi, les Guadeloupéens et les Martiniquais vivent au quotidien un désastre écologique majeur, puisqu’il atteint tout à la fois les sols, les eaux et les sédiments marins de leurs îles, et ce pour les cinq à six siècles à venir !Il est la conséquence de l’utilisation abondante, pendant une vingtaine d’années, d’un pesticide, le chlordécone, pour lutter contre le charançon du bananier.Dès 1976, les États-Unis avaient cessé de produire et d’utiliser cette molécule chimique très toxique et extrêmement rémanente. En France, dès 1977, plusieurs rapports avaient établi l’existence d’une pollution des sols des bananeraies et des milieux aquatiques environnants par les organochlorés.Cependant, malgré un retrait d’homologation treize ans plus tard et l’existence de traitements alternatifs, les autorités françaises, par le biais de dérogations et sous la pression des planteurs de bananes, ont maintenu licite l’usage du chlordécone dans les Antilles jusqu’en septembre 1993.Aujourd’hui, le constat est affligeant : « Guadeloupe : monstre chimique » titrait Le Monde, le 17 avril dernier.Quelque 6 500 hectares de surface agricole utile sont contaminés dans ce département, essentiellement dans le sud de la Basse-Terre. En Martinique, la pollution est plus diffuse et concerne environ 14 500 hectares, les surfaces les plus atteintes se situant dans le nord-est de l’île.La molécule est très stable à l’abri de la lumière. Aussi l’impact sur la production agricole et l’élevage est-il fort. Les légumes racines, mais aussi ceux qui poussent près du sol, tels que le giraumon, tous très consommés par les Antillais, sont atteints, tout comme les viandes bovines, les volailles, le lait et les œufs.Cette pollution des sols a entraîné un transfert de contamination vers les eaux douces et littorales, atteignant, en conséquence, les poissons et les crustacés.Le polluant a été répandu pour protéger certains intérêts économiques. La banane, au demeurant très subventionnée, est le principal produit d’exportation des Antilles, mais la dégradation écologique que son utilisation a engendrée a bel et bien des effets néfastes pour l’ensemble de l’économie de ces petits territoires à la biodiversité exceptionnelle.La production agricole locale est atteinte. Les élevages aquacoles en eau douce ont dû être fermés, à Goyave notamment. La pollution des sédiments marins n’en finit pas de pénaliser les pêcheurs professionnels et de récentes analyses ont conduit les autorités à étendre les zones d’interdiction totale ou partielle de pêche et le nombre d’espèces interdites à la consommation. En Guadeloupe, ces zones d’interdiction représentent 161 kilomètres carrés, allant parfois au-delà du plateau continental, et 44 espèces sont concernées.Ces décisions ont été prises pour prémunir la population. Le chlordécone serait la cause d’une augmentation des cancers de la prostate chez les travailleurs des bananeraies, d’une surincidence de myélomes multiples et d’un retard de développement psychomoteur chez certains nourrissons.Quant aux conséquences à long terme pour l’évolution ou la survie de la faune et de la flore, il est difficile de les évaluer pleinement, faute d’études scientifiques, mais il est sûr que la terre et les eaux qui les font exister sont contaminées de façon importante, et pour très longtemps.L’État a mis en place deux plans d’action, dont le second se termine cette année. Plus de 60 millions d’euros de crédits de l’État, des collectivités locales et de l’Union européenne ont été engagés par divers acteurs : cette somme est considérable.Les planteurs de bananes, rappelons-le, agissaient en toute légalité. Les Antilles ont été empoisonnées par un produit autorisé, homologué. Les planteurs respectaient les règles : bien qu’à l’origine de la catastrophe, ils n’ont donc pas eu à en supporter les conséquences financières. Ils n’ont toutefois pas le monopole des atteintes à l’environnement outre-mer.Ainsi, dans les années 1970, l’Office national des forêts, l’ONF, avait décidé de transformer une partie de la forêt primaire de Guadeloupe en plantations de mahoganys, une variété d’acajou exploitable pour son bois. Après un premier défrichement au sabre, et pour favoriser la croissance de ces mahoganys qui exigeaient beaucoup d’eau et d’espace, des agents de l’Office ont empoisonné les autres arbres, en injectant à leur racine un herbicide puissant, l’acide 2, 4, 5-trichlorophénoxyacétique, l’un des deux composants de l’« agent orange » utilisé lors de la guerre du Vietnam. Cette initiative a provoqué la disparition d’espèces rares. Là aussi, les études d’écotoxicité font défaut et il n’est pas possible d’estimer les effets à long terme de cette pollution sur l’ensemble de la faune et de la flore, mais il a été démontré que ce défoliant peut causer chez l’homme certains types de cancer ou le diabète. L’histoire est d’autant plus navrante que ces mahoganys n’ont pas été exploités, faute de main-d’œuvre et de demande !La reconnaissance, dans le code civil, du dommage causé à l’environnement sans notion de faute, comme l’a votée notre commission des lois sur l’initiative de son rapporteur, est un signal fort. Une personne sera responsable car elle aura créé un risque dont elle tire profit. Le juge civil déterminera le caractère réel et certain du dommage, puis conciliera les différents intérêts en présence. Il ne s’agit pas de freiner tout développement économique, par essence porteur de risque pour l’environnement, mais d’assurer la réparation des atteintes à ce dernier.Les pollueurs potentiels seront incités à la prudence. Cette précaution revêt une importance toute particulière pour nos territoires d’outre-mer, territoires fragiles qui connaissent une dégradation continue de leurs écosystèmes.La commission des lois a également souhaité que les réparations puissent revêtir des formes très diverses, appropriées à chaque situation. Reste en suspens, toutefois, le problème du délai de prescription, qui n’est pas explicitement traité par ce texte.Cette reconnaissance du préjudice écologique pourra conforter et encourager des initiatives prises par les acteurs économiques pour protéger l’environnement. Je citerai comme exemple l’accord de partenariat signé entre le ministère de l’agriculture, les collectivités locales et les acteurs de la filière qui garantit que l’exploitation de la banane de Guadeloupe et de Martinique – fruit qui, paradoxalement, n’a jamais été contaminé ! – aura à l’avenir une incidence minimale sur l’environnement – cette banane sera désormais « écologique » !Cependant, la plus grande vigilance devra toujours être de mise, l’actuelle polémique autour des conséquences de l’épandage aérien sur les plantations bananières et les recours devant les tribunaux pour contester les dérogations accordées l’attestent.Si cette proposition de loi demande à être complétée – mais Mme la ministre nous a rassurés sur ce point en évoquant les études qu’elle avait demandées –, nous l’avons vu, elle n’en constitue pas moins une avancée essentielle. Pour cette raison, comme tous mes collègues du groupe socialiste, je la voterai. 1060 http://www.senat.fr/seances/s201305/s20130516/s20130516_mono.html#par_323 9330 39378 loi 2013-05-16 51 2013-05-19 04:14:05 2013-05-19 04:14:05 http://www.nossenateurs.fr/seance/9330#inter_4a690e23cc46a2fe7413dd5a68d71a68