1421195 1898 cbd316af0982c1eed1a48d90fafbeb53 Mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis cet après-midi pour discuter d’un sujet qui fait consensus en ce sens que nous sommes tous parfaitement conscients des risques liés à l’usage d’un certain nombre de pesticides, tant pour les insectes pollinisateurs que pour la santé humaine, car ces molécules agissent comme des perturbateurs endocriniens.J’ai écouté le discours enflammé de Joël Labbé, marqué par sa sensibilité très forte sur le sujet. La proposition de résolution dont il est l’auteur invite donc logiquement le Gouvernement, sinon à interdire tous les néonicotinoïdes, du moins à agir en ce sens au niveau européen.Au cours du débat, chacun a avancé des preuves scientifiques, mais, comme l’a souligné à juste titre M. Savary, il existe des arguments pour et des arguments contre l’utilisation de ces substances.Je souhaite rappeler la position qui est celle du Gouvernement et expliquer pourquoi je ne suis pas favorable à l’adoption de cette proposition de résolution. Non que je n’aie pas conscience des risques encourus ou de la nécessité d’agir, mais parce que, pour agir efficacement, car tel doit être notre objectif, nous avons besoin d’ordre et de méthode, en particulier pour agir au niveau européen. En effet, lorsque l’on engage un débat à l’échelle européenne, il faut, pour atteindre la cible que l’on s’est fixée, disposer au bout du compte de la majorité nécessaire.Prenons la question des pollinisateurs et en particulier des abeilles, qui ont été évoquées par beaucoup d’entre vous.Il est vrai que la France a enregistré un fort accroissement du taux de mortalité des abeilles, qui s’est accompagné d’une chute de la production de miel. J’ai constaté à mon arrivée au ministère de l’agriculture que l’origine de cette mortalité était multifactorielle. Parmi les différentes causes, bien sûr, il faut compter les pesticides. C’est d’ailleurs pourquoi, convaincu de ce fait, j’ai interdit dès ma nomination le Cruiser OSR, pesticide de la famille des néonicotinoïdes à base de thiaméthoxame, utilisé pour l’enrobage du colza.Un rapport de l’ANSES établissait de manière très claire que ce produit perturbait les abeilles au point de les empêcher de retrouver leur ruche, ce qui était l’une des causes de leur mortalité.Néanmoins, afin d’éviter le reproche souvent fait dans notre pays que les produits interdits en France ne le sont pas à l’échelle européenne, nous avons engagé une démarche au sein de l’Union, en nous appuyant non seulement sur les recherches de l’ANSES, mais également sur les travaux de l’EFSA. Cela a conduit l’Europe à prendre une décision forte, au regard des risques que présentent pour les pollinisateurs trois néonicotinoïdes, et à réduire l’utilisation de ces molécules dans les cultures attractives pour les abeilles.Aujourd'hui, donc, ces substances ne peuvent plus être utilisées dans l’Union européenne en période de floraison. Pour les cultures restantes et pour les céréales à paille, les semis ne peuvent avoir lieu en période de forte activité des abeilles. L’utilisation de ces molécules n’est désormais plus possible que durant des périodes bien précises, et l’interdiction d’employer des semences enrobées d’insecticide vaut entre janvier et juin.Par conséquent, non seulement la France a pris des décisions en ce qui concerne le colza, mais de plus ces mesures ont trouvé un prolongement à l’échelle européenne. Tel est l’état des lieux de la législation européenne à l’heure actuelle en ce qui concerne trois néonicotinoïdes.Reste tous les autres néonicotinoïdes. C’est le sujet auquel s’attaquent les auteurs de cette proposition de résolution, à la fois pour des raisons liées aux pollinisateurs, mais également parce que ces produits sont des perturbateurs endocriniens qui ne sont pas sans risques pour la santé humaine.Pourquoi ne suis-je pas favorable à ce que le Sénat interdise l’usage de tous les néonicotinoïdes ? Tout simplement parce que le lien entre l’utilisation de ces produits et la mortalité des pollinisateurs n’est pas établi. Je l’ai souligné dès le début de mon propos, tous les spécialistes confirment que les décès des abeilles ont des causes multifactorielles. L’interdiction de tous les néonicotinoïdes serait donc une réponse trop simple pour un problème aussi complexe.Sur un tel sujet, il est important de ne pas se raconter d’histoires. Je veux que l’on aille jusqu’au bout du processus. Voilà pourquoi j’ai mis en place le plan de développement durable de l’apiculture, qui mobilisera 40 millions d’euros sur trois ans. Il s’agit de structurer la filière apicole dans son ensemble, depuis la production jusqu’à l’organisation commerciale. Pour connaître l’origine des miels que l’on achète, il n’y a pas plus flou, plus contestable que la France ! Le ministère de l’agriculture a donc voulu remettre un peu d’ordre dans tout cela.Le débat avec les professionnels complique les choses. J’en veux pour preuve les pétitions que vous avez tous reçues, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’occasion de cette proposition de résolution. Il était question, en particulier, de la mortalité des abeilles constatée, il y a deux ans, en hiver, dans les Pyrénées-Orientales et en Ariège.Je veux être ferme et clair, transparent et objectif. Deux études ont été commandées – l’une par le ministère de l’agriculture, l’autre par les apiculteurs eux-mêmes – afin de connaître les raisons d’une telle mortalité.Il n’a nullement été question d’incriminer les néonicotinoïdes, l’Ariège, département magnifique, et aujourd'hui sous la neige, ne comptant pas de grandes plaines céréalières ! Personne n’a évoqué non plus l’utilisation d’un certain nombre de vermifuges dans l’élevage. Les études ont révélé la présence de certaines molécules, notamment des acaricides, mais elles n’ont pas décelé la présence de molécules qui pourrait justifier le débat que nous avons aujourd’hui sur l’interdiction générale des néonicotinoïdes.Mon intention est d’avancer, de trouver des solutions, et je suis tout disposé à engager le débat, à condition toutefois que les termes en soient correctement posés, en considération de la réalité des choses, au risque sinon d’aboutir à des solutions stériles. Je le dis d’autant plus volontiers que, si nous voulons réussir à l’échelle européenne, nous avons intérêt à bien nous préparer et à dérouler notre plan de manière coordonnée.Je rappelle que la France, notamment le ministère de l’environnement, est très mobilisée sur le sujet des produits phytosanitaires auprès de nos partenaires, en particulier sur la question des perturbateurs endocriniens et des substances actives cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction. Nous sommes tous d’accord ici pour reconnaître qu’il convient de conduire une action en ce sens.Au niveau de la Commission, la France est à l’origine d’une demande de restriction de toutes ces substances. Le travail est en cours. Il ne s’agit pas, en votant parallèlement une mesure d’interdiction, de nous mettre en position de faiblesse à l’échelle européenne, car le processus n’est pas achevé.Vous avez cité les Pays-Bas : ils ont envisagé un moment d’interdire les néonicotinoïdes ; mais cela ne s’est pas fait. À l’échelle européenne, pour convaincre, pour avancer, il faut être sûr de ses arguments, et procéder avec ordre et méthode, comme je l’ai déjà souligné. À chaque fois, nous nous appuyons sur des études, certes, mais nous avons aussi un objectif politique.M. Joël Labbé indique que la première version du plan ECOPHYTO a été un échec. C’est vrai, s’il s’agit de mesurer ses résultats, mais elle a néanmoins quelques vertus. D’abord, cette première version du plan ECOPHYTO a permis d’éliminer 80 % des substances les plus cancérigènes et mutagènes. C’est donc un acquis. Par ailleurs, l’initiative prise par mon prédécesseur, Michel Barnier, après le Grenelle de l’environnement, de créer des « fermes défis » prouve aujourd'hui que l’on peut réduire l’usage des produits phytosanitaires, quelles que soient les régions. C’est encore un acquis.L’idée, pour l’an I de l’agro-écologie, est justement d’engager un processus large, global, afin de diffuser des pratiques agricoles et des modèles agronomiques permettant de se passer de produits phytosanitaires. Si le ministre de l’agriculture décide d’interdire ces produits sans proposer de solution alternative, le risque est grand de voir revenir des produits encore pires que ceux qui sont utilisés aujourd'hui. Je pense aux organochlorés ou aux organophosphorés, dont l’usage a été abandonné.Nous devons continuer à progresser. Pour ce faire, nous devons trouver à mesure que nous avançons des solutions de remplacement. C’est tout l’enjeu du débat sur le biocontrôle, qui fait défaut jusqu’à présent.Voilà pourquoi le plan ECOPHYTO, lié au débat sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, mettra en œuvre les certificats d’économie de produits phytosanitaires. J’ai bien noté d’ailleurs que certains n’étaient pas du tout favorables à la mise en place de ce plan, mais j’irai au bout de ce qui a été discuté et voté ici dans la loi d’avenir pour l’agriculture.Chacun doit s’auto-responsabiliser pour réduire l’usage des produits phytosanitaires, en général. Derrière tout cela, il y a une question de modèle, comme l’a souligné Joël Labbé. Il s’agit d’avoir une pensée globale, de construire une démarche générale et transversale. Nous n’y parviendrons pas uniquement en votant à tel moment l’interdiction de tel produit.Au contraire, nous y parviendrons en faisant la preuve que nous sommes capables à la fois de savoir où nous voulons aller, de construire le chemin pour nous y rendre et d’impulser la dynamique qui nous permettra d’atteindre notre objectif.C’est tout l’intérêt de ce débat, comme de nombreux intervenants l’ont relevé. Après tout, le fait de jouer le lanceur d’alerte, de nous inviter à aller plus loin sur la voie de l’interdiction permet d’échanger les idées. 2420 http://www.senat.fr/seances/s201502/s20150204/s20150204_mono.html#intv_par_485 12036 48440 loi 2015-02-04 2435 2015-02-08 04:15:00 2015-02-08 04:15:00 http://www.nossenateurs.fr/seance/12036#inter_cbd316af0982c1eed1a48d90fafbeb53