1158215 1595 8a52122bca6147607bd7b36df2f3f5ff Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’inscription de la notion de préjudice écologique dans le code civil répond à une double nécessité : apporter une base juridique claire aux tribunaux et reconnaître enfin la responsabilité des personnes ayant causé des dommages à l’environnement.Cette double nécessité revêt pour moi une importance cruciale, car il s’agit de combler un vide juridique dont nous sommes aujourd’hui tous victimes. En effet, plus un jour ne passe sans qu’une nouvelle catastrophe ou un nouveau scandale environnemental éclate. Marée noire, fuite de produits chimiques, pollution massive des eaux et de l’air, scandales sanitaires liés à l’usage de produits dangereux : les exemples pourraient être multipliés à l’infini.Or ces atteintes parfois graves à l’environnement n’entraînent que trop rarement des condamnations et des réparations. Il existe donc bien une certaine impunité pour ceux qui endommagent notre patrimoine commun le plus cher, notre environnement.Cette situation n’a que trop duré. Il est temps de mettre les auteurs d’infractions, d’erreurs ou d’imprudences graves devant leurs responsabilités, et de les faire payer à hauteur des dommages qu’ils ont occasionnés. Nous devons intégrer dans la loi des mécanismes de prévention, de pénalisation et de réparation des préjudices environnementaux. C’est pourquoi je partage l’ambition de cette proposition de loi, qui vise à introduire la notion de « préjudice écologique » dans le code civil, afin de lui conférer un fondement juridique incontestable.Au-delà de sa nécessité intrinsèque, cette ambition s’inscrit dans une logique. Les mentalités ont commencé à évoluer, et une prise de conscience de notre devoir d’agir dans ce domaine est apparue ces dernières années. La Charte de l’environnement de 2004, qui reconnaît des droits et des devoirs fondamentaux relatifs à la protection de l’environnement, a désormais valeur constitutionnelle. La loi du 1er août 2008 a transposé dans le droit français une directive européenne visant à donner un fondement juridique à l’obligation de réparation des dommages environnementaux. Parallèlement, la jurisprudence française a reconnu à plusieurs reprises la notion de « préjudice écologique ».Si nous pouvons nous féliciter de ces avancées progressives, tant au niveau national qu’au niveau européen, nous pouvons néanmoins regretter qu’il ait fallu attendre une catastrophe – en l’espèce, le naufrage de l’Erika – et onze années de procès pour que les choses évoluent.Il en va souvent ainsi, malheureusement, lorsqu’il est question d’atteinte à l’environnement et je tiens à m’en faire le témoin.En octobre dernier, j’ai présenté un rapport d’information consacré à l’impact des pesticides sur la santé et l’environnement. Après six mois de travaux, une centaine d’auditions et plusieurs déplacements en France, j’ai dressé un constat assez alarmant de la situation actuelle dans notre pays : les dangers liés à l’usage des pesticides sont clairement sous-évalués ; le suivi des produits mis sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré ; l’effet des perturbateurs endocriniens est mal pris en compte ; les protections ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques ; surtout, les pratiques agricoles, industrielles et commerciales n’intègrent pas suffisamment la nécessité de passer à un autre système, beaucoup plus économe en intrants.En somme, la dangerosité des produits phytosanitaires est loin d’être reconnue à sa juste mesure. Pire, les impacts majeurs de ces produits sur l’environnement commencent tout juste à être appréhendés et considérés.La raison en est simple : dans ce domaine, les intérêts économiques en jeu sont colossaux et beaucoup préfèrent encore fermer les yeux.Si, là encore, une prise de conscience tend à avoir lieu, dans la société civile comme dans le monde agricole, elle semble encore bien timorée. Une fois de plus, il semblerait que nous soyons contraints d’attendre un scandale environnemental ou des drames humains pour que les choses évoluent réellement. Malheureusement, c’est ce à quoi nous commençons à assister.L’exemple le plus flagrant, déjà cité, est celui du scandale de la chlordécone aux Antilles – mon collègue Félix Desplan l’évoquera plus longuement dans quelques instants –, qui est l’illustration des dangers représentés par certains produits. Il faudra plusieurs centaines d’années – on parle de 700 ans ! – pour que cette substance nocive disparaisse des sols.Je pense également aux incidences de ces produits sur la biodiversité, dont certains ont déjà parlé. Nous savons que de nombreuses espèces utiles à l’écosystème commencent à décliner, voire ont déjà disparu. Tel est le cas, par exemple, des populations d’abeilles dont l’évolution est inquiétante depuis plus d’une dizaine d’années. Nous venons ainsi d’apprendre, voilà quelques jours, qu’un tiers des colonies d’abeilles des États-Unis avaient péri durant l’hiver. Si l’origine de ce déclin est très certainement multifactoriel, il n’en reste pas moins que l’implication des pesticides dans ce phénomène est aujourd’hui largement démontrée.C’est pourquoi je me félicite de l’engagement du Gouvernement, par la voix du ministre de l’agriculture, en faveur de la protection de cette espèce pollinisatrice, qui s’est manifesté par l’interdiction du Cruiser en juillet dernier et la présentation d’un plan pour l’apiculture. Au niveau européen, il faut également saluer la décision d’interdire trois nouveaux insecticides dont l’impact sur les abeilles a été démontré.Nous devons, certes, nous réjouir de ces avancées, mais, une fois de plus, ces décisions interviennent en réaction et non pas en prévention.À mon sens, c’est tout un système qui est à revoir. Il faut bien avoir à l’esprit que seule une infime partie des pesticides atteint sa cible. En effet, l’essentiel du produit est dispersé par le vent lors de sa pulvérisation, se retrouvant ainsi dans des zones censées être épargnées, avant de finir sa course dans des cours d’eau ou des nappes phréatiques.Dans mon rapport d’information présenté en octobre dernier, j’ai rappelé que des études du ministère de l’écologie avaient détecté des pesticides dans 91 % des points de suivi de la qualité des cours d’eau français entre 2007 et 2009.Ces mêmes enquêtes ont révélé que des produits interdits, comme l’atrazine, étaient encore très présents dans les sols, ce qui prouve que la dégradation peut s’avérer très lente ou que certains produits interdits sont encore utilisés.Au-delà de leur impact environnemental évident, la présence de ces résidus chimiques dans les sols représente un coût pour la collectivité, engendré notamment par les traitements nécessaires en matière de qualité de l’eau. À ces pollutions diffuses et continues s’ajoutent des pollutions ponctuelles liées à des accidents, des erreurs ou des négligences.En somme, et pour refermer ce chapitre sur les pesticides, de nombreuses responsabilités peuvent et doivent aujourd’hui être engagées. Nous avons donc besoin d’outils juridiques pour les prévenir et les sanctionner.Pour toutes ces raisons, je tiens à féliciter notre collègue Bruno Retailleau de son initiative, ainsi que notre rapporteur Alain Anziani de son excellent travail, matérialisé dans les apports de la commission des lois.Je sais que la volonté d’avancer sur ce sujet est partagée par beaucoup. Ainsi, vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, le Gouvernement a annoncé qu’il œuvrait à actuellement sur cette évolution du code civil, notamment grâce à un groupe de travail.Ce travail collectif viendra apporter une base juridique claire aux juridictions pour la condamnation des auteurs de dommages causés à l’environnement. Elle assurera une réparation du préjudice occasionné et aura, je l’espère, un pouvoir dissuasif sur les comportements à risque.Néanmoins, je pense que l’accent doit avant tout être mis sur la prévention et l’information. Les impacts environnementaux de certaines catastrophes ne pourront pas être réparés avant plusieurs décennies, voire des siècles.Les marées noires en sont une parfaite illustration : quand une catastrophe humaine détruit en une semaine ou un mois ce qu’un écosystème a mis parfois des milliers d’années à constituer, aucune réparation ne peut être à la hauteur du préjudice subi.C’est pourquoi les principaux efforts doivent être consentis en matière de prévention, mais, les bonnes volontés ne suffisant malheureusement pas, nous sommes contraints aujourd’hui de mettre en place un système plus coercitif de sanction des préjudices écologiques. Il y va de l’intérêt général.En conclusion, mes chers collègues, le groupe socialiste votera cette proposition de loi de bon sens, dont l’enjeu est crucial et la portée majeure. § 820 http://www.senat.fr/seances/s201305/s20130516/s20130516_mono.html#intv_par_269 9330 39378 loi 2013-05-16 271 2013-05-19 04:13:58 2013-05-19 04:13:58 http://www.nossenateurs.fr/seance/9330#inter_8a52122bca6147607bd7b36df2f3f5ff