1256906 1930 d349faf9e2ec77934558700072d78273 Il paraît qu’il faut du temps pour faire les choses. Or j’ai parfois tendance à être pressé, surtout lorsque j’estime qu’il y a urgence. Aujourd'hui, je suis satisfait, car je considère que nous avons mis au point cette proposition de loi assez rapidement.Comme vous avez pu le constater, ce texte ne porte pas sur les usages agricoles des produits phytosanitaires, malgré les recommandations et nombreuses propositions visant à s’attaquer à notre « dépendance », cette « addiction, dont il faut sortir », pour reprendre les termes employés devant la mission commune d’information par Guy Paillotin, secrétaire perpétuel de l’Académie d’agriculture de France.Aujourd’hui, l’agriculture représente 90 % de l’utilisation des pesticides : ce n’est évidemment pas une paille ! Cela explique que la France détienne la troisième place au palmarès mondial – triste palmarès ! – des utilisateurs de pesticides, et la première au niveau européen. Il n’y a pas là de quoi s’enthousiasmer ! Quelquefois, on aimerait être le cancre !Les conséquences de cette surdose sont aussi innombrables qu’inquiétantes. J’évoquerai en particulier l’impact sur la santé : asthme, diabètes, cancers, infertilité, malformations, perturbations endocriniennes, troubles neurologiques, notamment les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, l’autisme... La maladie de Parkinson a d’ailleurs été reconnue comme maladie professionnelle par la mutualité sociale agricole. La liste des intoxications aiguës ou chroniques liées à l’usage – d’aucuns diront : au mésusage – des pesticides est longue. Les pesticides ne sont pas des produits anodins ; par définition, ce sont des produits dangereux.Je ne me lancerai pas dans une description minutieuse des maladies liées à l’utilisation des pesticides : elle serait trop déprimante et, de toute façon, ne serait pas exhaustive. Je me contenterai de rappeler certains constats qui ont été dressés lors des auditions et quelques phrases chocs que je ne peux pas oublier.Ainsi, Charles Sultan, professeur au CHRU Lapeyronie de Montpellier, parle des pesticides et polluants chimiques comme de véritables « bombes à retardement » au regard des perturbations endocriniennes.Sylvaine Cordier, de l’université de Rennes I, qui a participé à l’expertise collective de l’INSERM pour son rapport Pesticides : effets sur la santé, rappelle que « la période prénatale conditionne la vie entière » et souligne la « présomption forte d’un lien entre une exposition professionnelle de la femme enceinte à certains pesticides et un risque accru pour l’enfant de présenter une malformation génitale ». Ainsi, même avant sa naissance, l’enfant est touché !Pour les citoyens ordinaires, le lien de cause à effet n’est pas évident puisque l’exposition aux pesticides est diffuse, peu palpable. En revanche, pour les professionnels, notamment les agriculteurs et leur entourage, ce lien devient de plus en plus évident.Les conséquences sanitaires de l’utilisation des pesticides sont donc peu à peu reconnues.Je l’ai dit, la mission commune d’information n’a pas pu aborder l’impact de l’utilisation des pesticides sur l’environnement. Toutefois, dans la mesure où il constitue en fait un motif majeur de la proposition de loi que nous examinons ce soir, je souhaite l’évoquer en me limitant à deux aspects : l’érosion de la biodiversité et la qualité de l’eau.En termes de biodiversité, c’est l’ensemble de la faune et de la flore qui est touché, jusqu’à la flore microbienne qui fait la vie du sol.L’abeille, le plus emblématique des insectes en raison de son rôle de pollinisateur, est particulièrement victime de ce fléau. Plus de 50 % des abeilles ont disparu depuis quinze ans. Si l’usage des pesticides n’est pas la seule cause de cette dépopulation, elle en est une cause majeure. Dans des régions entières, largement vouées à la monoculture, à grands renforts d’engrais et de pesticides, les abeilles ne sont tout simplement plus là pour remplir leur rôle de pollinisatrices. Ce n’est pas encore le cas chez nous, fort heureusement, mais il existe des exemples dans le reste du monde.Ainsi, dans la région du Sichuan, en Chine, la pollinisation doit désormais se faire par la main de l’homme. En Californie, des milliers de ruches sont transportées l’hiver pour la pollinisation des amandiers, mobilisant quelque 2 200 semi-remorques pour quelque 10 milliards d’abeilles. Après quoi, les survivantes rentrent au bercail !Quant à la pollution de l’eau, elle est la parfaite illustration de notre schizophrénie puisque nous sommes obligés de réparer ce que l’on pourrait éviter.Le coût de traitement des apports annuels de pesticides aux eaux de surface et côtières est évalué au minimum à 4 milliards d’euros. Pour les localités situées dans les zones les plus polluées – évidemment, en Bretagne, nous nous sentons concernés –, les dépenses supplémentaires liées à la dépollution sont estimées à 215 euros par personne et par an, et ces dépenses se retrouvent directement sur la facture d’eau des ménages.Le traitement curatif coûte 2, 5 fois plus au mètre cube traité que la prévention et n’améliore nullement la qualité de la ressource. Il faut en tirer les conséquences. Alors que l’on parle sans cesse de l’assèchement des finances publiques, du pouvoir d’achat en berne des ménages, est-il raisonnable de poursuivre cette fuite en avant dans la dépense ?L’utilisation des pesticides a donc des conséquences sur la santé, sur l’environnement, sur l’économie. Je m’en tiendrai là : les éléments à charge sont déjà suffisamment lourds pour me dispenser d’insister !J’en reviens à l’objet de cette proposition de loi.Ce texte se concentre sur ce sur quoi nous pouvons légiférer sans délai. Il s’agit de s’attaquer à une part de la consommation nationale qui peut paraître modeste puisqu’elle n’en représente que 5 % à 10 % – presque 10 000 tonnes par an tout de même ! –, mais qui concerne potentiellement toute la population. Sont visées l’utilisation des pesticides en dehors des zones agricoles, c'est-à-dire, pour l’essentiel, la consommation des particuliers dans leurs jardins ou sur leurs balcons ainsi que celle des collectivités territoriales pour la gestion de leurs espaces verts.La proposition de loi s’articule autour de deux mesures.En premier lieu, le texte tend à interdire aux personnes publiques de recourir à l’usage de produits phytosanitaires pour l’entretien des espaces verts, des forêts et des promenades ouvertes ou accessibles au public.En second lieu, il tend à interdire la vente de produits phytosanitaires aux particuliers.Bien sûr, il n’est pas question d’interdire tous les produits : seulement ceux qui, du fait de leur composition, entraînent les risques et les impacts que nous avons évoqués.Nous savons que des solutions de substitution existent. Elles sont patiemment remises au goût du jour, développées par des particuliers, des agriculteurs, des chercheurs, des collectivités...À la conférence de presse que nous avons organisée ce matin nous avions convié Cathy Bias-Morin, directrice des espaces verts de la ville de Versailles, qui accomplit un travail exemplaire, et Emmanuelle Bouffé, paysagiste, artiste, jardinière, disciple et amie de Gilles Clément. Toutes deux sont venues nous montrer que l’on pouvait faire, et bien faire, sans pesticides. Je tiens à les remercier et, puisqu’elles sont en ce moment dans les tribunes, à les saluer de nouveau.À l’échelon des collectivités, l’expérimentation est déjà largement engagée. Aujourd’hui, près de 10 % des communes et plus de 60 % des villes de plus de 50 000 habitants se sont lancées dans une démarche tendant vers le « zéro phyto ». Je citerai, outre Versailles, les villes de Niort, Besançon, Rennes, Lorient – parmi d’autres communes de Bretagne –, Strasbourg… Et ma petite commune de Saint-Nolff, qui n’est certes pas Versailles, pratique aussi le zéro phyto depuis 2007, terrain de foot et cimetière compris ! §Comme elles sont stimulantes, toutes ces initiatives de communes de bassins versants, en Bretagne ou ailleurs, de communes en Agenda 21, de communes en transition !Pour accompagner ces dynamiques, encore faut-il rendre l’information, la formation et les alternatives accessibles à tous. Car ce n’est pas le cas aujourd’hui : en témoignent les difficultés rencontrées par les promoteurs des substances naturelles, connues désormais sous le sigle PNPP : les préparations naturelles peu préoccupantes. De fait, régulièrement, nous sommes alertés sur l’existence de toute une série d’obstacles : cadre juridique peu adapté ; procédures de reconnaissance accessibles seulement aux grandes entreprises industrielles ; manque de cohérence, voire contradictions entre le cadre juridique français et la réglementation européenne ; faible intérêt manifesté par le secteur de la recherche, qui limite la possibilité de mener les évaluations de toxicité ; manque d’entrain des actuels détenteurs du marché agro-industriel à voir autoriser des produits naturels, non brevetés, peu susceptibles de venir gonfler leur chiffres d’affaire.Il est nécessaire de clarifier tout cela, d’identifier les freins juridiques et économiques, afin de pouvoir les lever, et, ainsi, d’accompagner l’évolution des pratiques des collectivités, des particuliers et des agriculteurs.C’est pourquoi l’article 3 de la proposition prévoit une étude sur les freins juridiques et économiques, qu’ils soient nationaux ou communautaires, empêchant le développement et la commercialisation des substances alternatives.Tout au long de l’élaboration de cette proposition de loi, les contributions de citoyens, les témoignages de maires, d’élus communaux, d’agents techniques, de responsables de services d’espaces verts, de jardiniers amateurs plus ou moins éclairés, sont venus conforter mes intentions.J’ai ainsi participé à l’initiative « Parlement & Citoyens ». Cette plate-forme Internet a pour ambition de faciliter la co-construction de propositions de loi. Le texte que nous examinons ce soir fait partie du cycle des premières propositions de loi qui ont été soumises à l’avis des citoyens : il a fait l’objet de plus de 3 000 contributions, émanant de quelque 450 contributeurs différents. Le sujet ne laisse donc pas indifférent. Mercredi dernier, j’ai conversé par Internet avec cinq de ces contributeurs...Aucune opposition ne s’est manifestée ; pourtant, les critiques étaient sollicitées ! Au contraire, des jeunes, des étudiants, des militants associatifs, de jeunes chefs d’entreprise, se sont montrés enthousiastes et ont souhaité une application la plus rapide possible du texte. C’est même moi qui ai dû les tempérer et expliquer qu’une mise en œuvre réussie supposait d’abord une majorité pour adopter un texte…Je pense que cette proposition de loi arrive vraiment au bon moment. Les dangers sont reconnus, les expérimentations ont déjà été menées. Plusieurs d’entre nous ont signé l’appel de Montpellier dont le député Gérard Bapt a pris l’initiative. Monsieur le ministre, cet appel a été signé par Delphine Batho et Chantal Jouanno. 5660 http://www.senat.fr/seances/s201311/s20131119/s20131119_mono.html#intv_par_1255 10231 42732 loi 2013-11-19 489 2013-11-23 04:10:14 2013-11-23 04:10:14 http://www.nossenateurs.fr/seance/10231#inter_d349faf9e2ec77934558700072d78273