963252 2576 2c99345bbe2842a9553ad9c993ae98ea Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en cette semaine où l’ordre du jour du Sénat est consacré au contrôle de l’action du Gouvernement, je me félicite que le groupe socialiste ait décidé d’inscrire à l’ordre du jour un sujet qui préoccupe un nombre croissant de Français et qui, j’en suis sûre, n’a pas fini de susciter questionnements et inquiétudes dans les années à venir ; je veux parler de la prolifération du frelon asiatique.Les dommages économiques et écologiques ainsi que les problèmes de santé publique causés par cet envahisseur vont bientôt concerner la majeure partie du territoire français. Les difficultés que cette situation sous-tend n’ont pas encore trouvé de réelles solutions alors que le monde apicole, les préfets ou les élus tentent, tant bien que mal, de limiter l’impact de cet insecte.L’été dernier, cette problématique a pris une nouvelle ampleur avec le cas de plusieurs décès liés à des piqûres. La presse a alors relayé ces faits divers qui pouvaient, dans un premier temps, paraître isolés, et a ainsi démontré l’ampleur des risques encourus par la population et les préoccupations de l’opinion publique à ce sujet.Malgré cela, le Gouvernement est resté passif et n’est pas intervenu pour permettre le classement du frelon asiatique dans la liste des espèces nuisibles.Pourtant, à de nombreuses reprises, les membres du Gouvernement ont été interrogés par des parlementaires. J’ai, pour ma part, multiplié les interventions : questions écrites dès le mois de décembre 2010, questions orales, allant même jusqu’au dépôt d’une proposition de loi. Les réponses qui m’ont été faites ont chaque fois été les mêmes, à savoir qu’il n’y avait pas lieu de prendre des mesures contre cette espèce.Il a fallu attendre le mois de décembre dernier et une question d’actualité à l’Assemblée nationale, pour que la position du Gouvernement semble s’infléchir un peu. Mais pour l’heure, rien n’est encore concrétisé !Le groupe socialiste du Sénat a donc décidé de déposer cette question orale avec débat afin que le Gouvernement s’empare de ce dossier, qui relève de sa responsabilité, et s’engage à agir.Je tiens à remercier Mme la ministre de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement de sa présence au banc du Gouvernement, mais je regrette que le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’amendement du territoire, qui est pourtant en charge du pilotage de ce dossier, n’ait pas pris la peine d’assister à ce débat.Je ne vais pas refaire ici l’histoire détaillée du frelon asiatique, mais il me paraît nécessaire de rappeler les circonstances de son apparition en France avant d’évoquer les conséquences de sa présence.Le frelon asiatique ou frelon à pattes jaunes, vespa velutina de son nom latin, a été introduit accidentellement en France en 2005, voire en 2004, très certainement dans des poteries importées de Chine par un horticulteur du Lot-et Garonne. Les premiers nids ont été observés en avril 2005 dans ce même département, et le début de sa réelle expansion a commencé en 2006.Depuis cette date, c’est-à-dire en six ans, le frelon asiatique s’est particulièrement bien acclimaté à notre pays en le colonisant à une vitesse impressionnante. Malgré le manque de données précises, on peut dire qu’il semble aujourd’hui présent dans la très grande majorité de nos départements métropolitains, dont quarante-quatre, majoritairement dans le sud-ouest de la France, sont plus particulièrement infestés. Sa zone d’extension serait de soixante-dix à cent kilomètres par an. Il a également été signalé en Belgique, à la frontière italienne et dans le nord de l’Espagne, posant ainsi clairement la responsabilité de la France à l’étranger du fait de sa non-action.Il faut par ailleurs rappeler que le frelon asiatique a été inscrit dans la base de données européenne DAISIE, qui référence les espèces invasives. Par modélisation, on sait désormais que les potentialités d’expansion de l’espèce concernent la totalité de la France et la majeure partie de l’Union européenne. Seules les régions très froides du nord et très sèches du sud de notre continent seraient vraisemblablement épargnées.Cette invasion est d’autant plus impressionnante que des travaux en cours d’étude tendraient à démontrer que le patrimoine génétique de vespa velutina présent en France est très pauvre, ce qui signifierait que peu, voire une seule femelle fondatrice, pourrait être à l’origine de cette expansion exponentielle.Pourtant, dès son introduction en France, des spécialistes des hyménoptères ont souligné les risques liés à la présence de cet insecte exotique dans notre pays, risques particulièrement liés à ses comportements alimentaires. En effet, le bol alimentaire du frelon asiatique est constitué majoritairement d’insectes, et particulièrement d’abeilles, qui peuvent représenter jusqu’à 80 % de son alimentation. Ce prédateur peut, selon les périodes de l’année, se révéler extrêmement voraces et les ruches sont alors des cibles idéales, car elles constituent des garde-manger de choix.La localisation des nids commence également à poser problèmes. Les scientifiques indiquent que le frelon asiatique s’installe plutôt en hauteur dans les arbres, à une quinzaine de mètres, ce qui ne présente pas de danger immédiat pour l’homme. Seuls les nids primaires, au début du printemps, seraient temporairement au ras du sol.Néanmoins, depuis deux ans, apiculteurs et particuliers semblent observer une multiplication de nids à hauteur d’hommes, ce qui n’est pas sans provoquer des accidents. J’ai ainsi constaté, dans mon département, la présence de nids dans des haies, des buissons, des maisons et même dans des aires de jeux d’enfants dans des jardins publics.La pression est donc quotidienne sur les populations et pose clairement la question de la sécurité de nos concitoyens. Elle nous renvoie également à la dangerosité de cette espèce que, pour ma part, je considère aujourd’hui comme avérée. Sans tomber dans la psychose, notons que l’on dénombre aujourd’hui huit décès liés à des piqûres – ils sont sans doute plus nombreux.Par ailleurs, des invasions de frelons ont été observées sur les étals des marchés en fin d’été, ce qui entrave les ventes et inquiète les habitants.Pour leur part, les apiculteurs et les services des pompiers pointent du doigt la particulière agressivité et dangerosité de cette espèce à proximité des nids.Cette dangerosité relève non pas du venin de cet insecte, qui n’est pas plus toxique que celui de notre frelon européen, mais de la densité des nids et de la population qu’ils abritent.Il faut avoir à l’esprit qu’en Gironde ont été dénombrés jusqu’à 10 nids dans un rayon de 600 mètres. Or un nid peut faire un mètre de diamètre et accueillir entre 1000 et 2000 individus. Les attaques peuvent donc être beaucoup plus massives et les risques de piqûres multiples bien plus importants que pour notre frelon.Aujourd’hui, les principales inquiétudes, ou tout du moins les plus audibles, émanent des apiculteurs.Comme nous le savons tous, depuis plus de dix ans, la filière apicole traverse une crise mondiale liée à une surmortalité des abeilles. Cette surmortalité a des origines multiples, et nous savons désormais que le frelon asiatique n’est « qu’un facteur parmi d’autres » : les pesticides, la monoculture ou encore le parasite varroa ont autrement plus d’impact sur nos abeilles.Néanmoins, l’impact du frelon asiatique sur les populations d’abeilles en France est réel et visible. Cette menace ne doit surtout pas être négligée ! Elle prend deux formes distinctes qu’il faut appréhender différemment.Tout d’abord, ce que nous pourrions appeler la menace directe du frelon asiatique se manifeste par une attaque physique sur un rucher et donc la mort immédiate d’abeilles. À partir du mois de juillet, le frelon asiatique arrive en masse devant les ruchers et peut se révéler alors extrêmement vorace. C’est à cette période que son besoin en protéines est le plus important, car il doit nourrir les larves des futures reines. Une ruche peut alors être véritablement vidée de ses occupants en quelques jours.Mais les conséquences indirectes de la présence du frelon asiatique sont également préoccupantes, d’autant que c’est sûrement ce qui cause le plus de dégâts aux apiculteurs. En effet, c’est à cette même période que les abeilles commencent à constituer leur stock pour passer l’hiver.Or la présence du frelon asiatique dans l’environnement de l’abeille va la stresser et l’empêcher de quitter le nid pour aller chercher du pollen et nourrir la colonie. De ce fait, les larves sont sous-alimentées, elles se meurent, la ponte s’arrête et les abeilles sont fragilisées. La ruche est donc condamnée à péricliter, car sa faiblesse au printemps entraînera sa disparition pure et simple.Selon l’Union nationale de l’apiculture française, les dégâts dans le sud-ouest de la France sont déjà considérables. Le syndicat apicole de la Gironde a perdu, en trois ans, plus du tiers de ses adhérents et a ainsi déclaré aux assurances 532 ruches en moins par rapport à 2010.Le syndicat a alors mené une enquête qui a démontré que le frelon asiatique était à l’origine de la disparition des colonies. Les exploitants les plus touchés sont les petits apiculteurs, amateurs ou semi-professionnels, disposant d’un cheptel de rucher assez réduit, de l’ordre d’une quinzaine de ruches au plus. Dans ces cas, les attaques de frelons asiatiques remettent en cause l’existence même de l’activité d’un apiculteur.Or nous savons que le monde apicole se caractérise justement par un nombre très important de non-professionnels, ce qui permet d’assurer un maillage cohérent de notre territoire. Aujourd’hui, nous manquons cruellement de chiffres pour évaluer les dégâts occasionnés au monde apicole par le frelon asiatique. Il apparaît d’ailleurs que cette évaluation est difficile à mener ; mais elle reste possible !Je suis pour ma part convaincue que, si nous avions une connaissance chiffrée de l’impact économique du frelon asiatique pour les apiculteurs, les pouvoirs publics réagiraient beaucoup plus rapidement.Pour l’heure, rien n’est fait et les apiculteurs sont livrés à eux-mêmes. Je tiens d’ailleurs à saluer cette profession qui a réussi, dans certains territoires, à s’organiser seule, en mettant en œuvre des stratégies propres d’actions pour réduire la pression sur les ruchers, en organisant le piégeage des nids avec de petits moyens.Devant ce constat, le monde apicole dénonce la passivité des pouvoirs publics qui, depuis 2004, n’ont apporté aucun soutien pour la destruction des nids, tout en refusant de classer le frelon asiatique en espèce nuisible.Je sais que le Gouvernement a préféré, dans un premier temps, s’en remettre au travail des chercheurs. C’est ainsi qu’une mission interministérielle a été constituée et qu’un rapport a vu le jour en septembre 2010. Des recommandations ont certes été préconisées dans ce rapport, mais aucune n’a été suivie dans les faits. Nous savons que d’autres travaux menés par le Muséum national d’histoire naturelle ont suscité la controverse.En effet, tout en confirmant la progression de l’aire colonisée par le frelon asiatique, ce rapport a précisé que son impact sur la production apicole était « relatif », celui sur la biodiversité « non décelé » et que, en l’absence de piège spécifique au frelon, il apparaîtrait raisonnable d’attendre qu’un nouvel équilibre naturel s’établisse dans les zones concernées.En somme, il n’y a rien à faire, donc ne faisons rien, et, dans le cas présent, rien n’est fait !Nous pouvons tous comprendre, dans pareille situation, le désarroi du monde apicole et l’interrogation des populations !Nous aurions tort de considérer que le problème du frelon asiatique ne concerne que le monde apicole, car il est bien plus vaste. En effet, en s’attaquant à ces grandes pollinisatrices que sont les abeilles, le frelon asiatique met à mal un maillon essentiel de la biodiversité alors que de nombreuses espèces pollinisatrices sont déjà en train de disparaître.Faut-il rappeler que 35 % de la production mondiale de nourriture résulte de la production de cultures dépendant des pollinisateurs ? Les dégâts vont être considérables dans les années à venir.Selon une étude menée voilà quelques années par des chercheurs français et allemands de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, et du Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, la valeur de la contribution des pollinisateurs à la production alimentaire mondiale était de 153 milliards d’euros en 2005 pour les principales cultures dont l’homme se nourrit, soit 9, 5 % de la valeur de l’ensemble de la production alimentaire mondiale.Trois catégories de cultures seraient principalement concernées : les fruits, les légumes, avec une valeur estimée à 50 milliards d’euros chacun, et les oléagineux avec 39 milliards. Du point de vue du consommateur, cette situation pourrait provoquer une augmentation des prix de l’ordre de 190 milliards à 310 milliards d’euros !Nous ne sommes donc pas face à un petit problème !L’usage intensif des pesticides occasionne des désastres pour notre équilibre écologique, et la disparition des insectes est aujourd’hui visible à l’échelle humaine, alors même que la nature a mis des millénaires à mettre en place un équilibre.Bien Évidemment, nous savons que le frelon asiatique n’est pas l’unique et principal facteur de la surmortalité des abeilles. L’objectif n’est pas de trouver un coupable idéal, mais, à force de dire que les problèmes environnementaux sont multifactoriels, on ne fait rien et chacun rejette la faute sur l’autre : ce sont les pesticides, c’est le réchauffement climatique, ce sont les frelons asiatiques, etc. 1140 http://www.senat.fr/seances/s201202/s20120208/s20120208_mono.html#intv_par_341 7787 34354 loi 2012-02-08 271 auteur de la question 2012-04-19 07:57:54 2012-04-19 07:57:54 http://www.nossenateurs.fr/seance/7787#inter_2c99345bbe2842a9553ad9c993ae98ea