828035 2123 d857cbee575b4562db17a3bbb409b567 A la suite du vote de la loi interdisant l'usage du bisphénol A dans les biberons, issue d'une proposition de mon groupe, le RDSE, l'office avait été chargé, sur demande de notre commission, de mener une étude sur les perturbateurs endocriniens, dont j'ai assuré seul la conduite, Jean-Claude Etienne ayant été appelé sous d'autres cieux.Ce domaine, qui touche à des questions très sensibles de santé publique et environnementale, est, depuis deux ou trois décennies, en pleine évolution. Le système endocrinien qui inclut de multiples organes, depuis l'hypophyse jusqu'aux organes de la reproduction, en passant par la thyroïde, est fort complexe. Les hormones, substances chimiques sécrétées par ces glandes, contrôlent la croissance, le métabolisme, le développement, y compris sexuel, et la reproduction. Leur rôle est de mieux en mieux connu du fait des capacités de dosage de plus en plus précises.On sait aujourd'hui que certaines molécules synthétiques libérées dans l'environnement - au nombre de 100 000, auxquelles 900 nouvelles viennent s'ajouter chaque année - perturbent le fonctionnement du système endocrinien, le problème se compliquant encore de leur interaction. Elles sont dégagées par des produits pharmaceutiques, dentaires, vétérinaires, de combustion, des produits à usage industriel ou domestique, des produits phytosanitaires, des phyto-oestrogènes, des mycotoxines... La plus emblématique d'entre elles, le Bisphénol A, entre dans la fabrication de multiples plastiques de type polycarbonates mais aussi des résines époxy. On en retrouve la trace dans les bouteilles en plastique, les canettes et boîtes de conserve, les emballages alimentaires. Elle entre également dans la composition des CD, des DVD, de composants électroménagers et automobiles, comme les pare-chocs, mais aussi dans les téléphones portables, les lunettes, les lentilles de contact, et même les tickets de caisse à encre thermique. Quant aux résines époxy, elles sont utilisées dans les systèmes de stockage et de transport de l'eau et dans certains ciments dentaires. Les dérivés halogénés du bisphénol A, se retrouvant également dans les retardateurs de flamme, peuvent contaminer l'atmosphère de certains logements. La molécule a cependant son utilité, comme antioxydant, stabilisateur, protecteur mécanique anti corrosion, si bien qu'il convient d'établir, pour chaque type de produit, une balance bénéfices-risques.Certains autres constituants des plastiques comme les phtalates ou des produits cosmétiques et médicamentaux comme les parabènes posent également des problèmes, en raison de leur effet potentiellement reprotoxique. A ces substances de synthèse s'ajoutent des substances naturelles, présentes par exemple dans le soja. Autant d'éléments qui causent des interférences dans le jeu hormonal.Sur le rôle des perturbateurs endocriniens, les observations sont déjà anciennes. C'est ainsi que l'on connaît de longue date les effets néfastes du DDT. Dans son livre Silent Spring, Rachel Carson s'étonnait déjà de la disparition de l'aigle, symbole de l'Amérique. Des études ont été menées sur les malformations génitales des alligators de Floride, la diminution de l'épaisseur des coquilles d'oeufs de faucons. Au Canada, l'expérience de pollution volontaire d'un lac de l'Ontario a permis d'observer la disparition d'une race de cyprinidés. Bien d'autres observations ont été conduites sur le milieu aquatique, y compris en France où une étude de 2009-2010 concluait à la contamination en oestrogènes de l'estuaire de la Seine et ses conséquence sur les mâles d'une espèce de poisson, le flèt. Complétées par de nombreux travaux de laboratoires diligentés par des programmes de recherche, tous ces travaux permettent de conclure au rôle majeur des perturbateurs endocriniens dans l'environnement.Face à quoi il convient, cependant, d'agir avec toute l'objectivité scientifique requise, ainsi que le souligne l'audit collectif récemment publié par l'Académie de médecine, qui relève l'écart entre les conclusions des agences sanitaires et les annonces alarmistes de certaines organisations non gouvernementales (ONG). Sans nier la nécessité d'alerter, gardons-nous de prendre des décisions précipitées, sous la pression de l'opinion, avant de disposer d'une évaluation scientifique menée auprès de tous les acteurs concernés.J'ai, pour ma part, essayé, dans ce rapport, de respecter le principe d'objectivité. Il m'était impossible d'aborder tous les problèmes soulevés par les perturbateurs endocriniens, sachant que cet important sujet de santé publique doit suivre au plus près les avancées de la science, de l'industrie et des données expérimentales. C'est ainsi que l'agence nationale de sécurité sanitaire, l'Anses, a rendu, le 27 septembre dernier, une étude faisant le point sur les différentes substances et les réglementations existantes, principalement celles relatives au bisphénol A. L'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) avait publié en mars dernier une étude sur les effets reprotoxiques des perturbateurs endocriniens, suivie en novembre par le rapport de l'Académie de médecine sur leur rôle cancérigène.Deux grands domaines occupent la recherche expérimentale. Le premier, largement exploré par les laboratoires, concerne les incidences de ces produits sur le développement sexuel, les malformations génito-urinaires induites, la croissance et la fertilité. Le second tend à mesurer leur incidence sur l'augmentation des cancers hormono-dépendants - cancer du sein, de la prostate, de la thyroïde, du testicule.Ces études ont provoqué une révolution dans la recherche toxicologique. De fait, elles mettent en cause les fondements établis au XVIe siècle par Paracelse. « Toute chose est poison et rien n'est poison, seule la dose fait le poison » : ce précepte, qui fonde aujourd'hui toute la réglementation de protection en définissant des doses d'exposition maximales, ne saurait s'appliquer, de fait, aux perturbateurs endocriniens, pour lesquels la réponse n'est pas toujours linéaire, puisque leur effet peut être fort à faible dose, faible à forte dose, et qu'ils peuvent même agir comme la clé dans la serrure, leur seule présence, fût-elle infinitésimale, pouvant déclencher les perturbations. Sans compter les effets synergiques et de potentialisation qui résultent de leur mélange, fréquent. S'ajoute enfin le fait que les organismes peuvent leur être plus sensibles en certains temps de la vie, comme durant la période intra-utérine, si bien que ce n'est plus la dose qui fait le poison, mais le moment. On observe des effets transgénérationnels, comme on l'a vu avec le Distilbène, prescrit à des femmes enceintes dans les années 70, responsable de malformations génito-urinaires graves sur les enfants, malformations que l'on retrouve à présent à la deuxième génération. On peut encore déplorer d'autres utilisations malheureuses de certains produits, comme celle du chlordécone dans les bananeraies antillaises, objet d'un rapport de Catherine Proccacia, et qui serait à l'origine d'un taux de cancer de la prostate élevé dans la population, ou celle de la thalidomide qui, prescrite aux femmes enceintes, dans les années 50 et 60 comme antinauséeux, est responsable de malformations graves chez les enfants - on reparle pourtant de la thalidomide qui pourrait être utilisée dans les traitements de la maladie d'Alzheimer. Beaucoup de ces molécules sont aujourd'hui retirées du marché, et ne sont plus utilisées par l'agriculture et la pharmacie. L'Union européenne a d'ailleurs adopté une législation restrictive, qui s'applique aujourd'hui aux nouvelles molécules. Le programme Reach (registration, evaluation and autorisation of chemicals), en vigueur depuis le 1er juin 2007, contraint ainsi les entreprises produisant ou important plus d'une tonne de produits chimiques par an à s'enregistrer et à référencer les produits en démontrant leur innocuité. Les substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques, en particulier celles qui sont persistantes, sujettes à bioaccumulation ou qui comprennent des perturbateurs endocriniens, et sur la nocivité desquelles on dispose d'éléments scientifiques, font l'objet d'un système particulier. Une question de fond reste cependant posée, qui doit interpeller les chercheurs et la puissance publique : dans quelle mesure une expérimentation in vitro sur l'animal est-elle transposable à l'homme sans étude épidémiologique encadrée et précise, comme cela se passe pour une majorité de produits ? De telles études requièrent une observation de plusieurs années sur une cohorte homogène de générations. Comment, de même, s'assurer du caractère incontestable des résultats, sachant que bien des troubles et bien des maladies ont des origines plurifactorielles et que l'individu est exposé à une multitude de produits, inégalement répertoriés, susceptibles de provoquer des perturbations endocriniennes ?C'est pourquoi je me réjouis que la France ait engagé, depuis trois ans, le programme de recherche Elfe, étude longitudinale française depuis l'enfance, qui, entamé en 2007 auprès de cinq cents familles pilotes, vise à suivre 20 000 enfants de la naissance à l'âge adulte. Ce programme mobilise plus de soixante équipes de recherche, soit quatre cents chercheurs, autour de plus de quatre-vingt-dix sujets. Il fait partie des priorités du Gouvernement et a bénéficié, via le grand emprunt et les investissements d'avenir, d'un financement spécifique.Dans la préface au rapport de l'Inserm, on lit que si « la compréhension fine des mécanismes mis en jeu chez l'homme représente un travail considérable, qui ne pourra pas aboutir prochainement », cela n'empêche pas d'envisager des pistes d'action, en appliquant le principe de précaution « à partir du moment où la suspicion fondée sur des données scientifiques impose d'agir pour supprimer ou réduire des effets graves ou irréversibles pour la santé du fait d'expositions non obligatoires ». Et les auteurs ajoutent qu'il ne faut pas attendre la preuve de la causalité et la compréhension de tous les mécanismes en jeu pour protéger la santé des populations et se tourner vers des substances de substitution. Je partage leur analyse. Les données sont suffisamment nombreuses pour inciter à l'action, en développant une politique évolutive de protection en fonction des résultats scientifiques. Cette politique devrait reposer sur trois piliers : savoir, prévenir, interdire.Développer les connaissances disponibles est une priorité. La France, comme l'Europe, y consacre déjà des moyens importants - plan d'action du ministère de la santé, programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens, agence nationale de la recherche, programme Elfe, investissements d'avenir. Mais foisonnement n'est pas stratégie. On y voudrait plus de coordination, autour d'une stratégie interministérielle, à laquelle il conviendrait d'associer le monde industriel, eu égard aux enjeux économiques des découvertes potentielles sur les matériaux, le fonctionnement du système hormonal et les médicaments du futur.Un élargissement des recherches est également nécessaire, sur un plus large éventail de substances et d'organes cibles, et la priorité devrait être accordée aux tests internationalement reconnus d'identification des perturbateurs endocriniens. Un suivi politique et parlementaire s'impose pour prendre en considération l'évolution des connaissances. Dans l'intervalle, il convient de mettre en oeuvre une démarche de prévention, visant à limiter l'usage des substances incriminées, à prendre en compte leur potentiel perturbateur, à réduire leur rejet dans l'environnement. La bonne application des plans polychlorobiphényles (PCB) et Echophyto 2018 est à cet égard essentielle. Ainsi que le recommande l'Académie de médecine, une attention toute particulière devrait être portée au problème des résidus médicamenteux dans l'eau, soulevé encore récemment au sujet des pilules contraceptives. Réduire l'exposition périnatale, de la conception aux premières années de la vie, doit être une priorité pour nous. Les produits de consommation courante contenant des substances présentant un risque élevé de perturbation devraient être soumis à étiquetage particulier, pour inciter les mères à en utiliser d'autres. Des mesures d'interdiction, enfin, peuvent être nécessaires, en fonction des produits, des usages, des possibilités de substitution et de la balance avantages-risques. C'est dans cette logique que je demande le retrait des phtalates à chaîne courte dans les applications médicales - tubulures, poches plastiques, perfusions - à destination de la femme enceinte et du jeune enfant, et plus généralement que tous les produits qui leur sont destinés soient exempts de perturbateurs endocriniens.Enfin, il me semble que le Parlement, plutôt que multiplier les lois d'interdiction partielles dans le seul cadre national, devrait inviter le Gouvernement, via une résolution, à agir au niveau européen, sur l'ensemble du marché communautaire. 60 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20111128/soc.html#par81 2468 27948 commission 2011-11-30 143 rapporteur 2011-12-04 19:49:44 2011-12-04 19:49:44 http://www.nossenateurs.fr/seance/2468#inter_d857cbee575b4562db17a3bbb409b567