1104530 3155 072c71912e7db52b825ee043027c42f2 Monsieur le président, madame le rapporteur, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’utiliserai, pour mon intervention, l’ensemble du temps de parole qui m’a été accordé, soit dix minutes en ma qualité de présidente de la mission commune d’information et six minutes au nom de mon groupe.En ce début de débat, il est du devoir de la présidente de la mission commune d’information de rappeler quelques dates, chiffres et événements concernant les travaux de la mission, mais aussi d’évoquer l’esprit qui a animé ses travaux. Vous me permettrez également d’exprimer, cette fois à titre individuel, les convictions que je me suis forgées au cours de ces six mois de présidence.La mission a été créée à l’instigation de ma collègue Nicole Bonnefoy, en raison notamment de l’actualité qui a marqué son département.Je souhaiterais adresser, au nom de la mission, mes plus sincères remerciements à M. Paul François ainsi qu’aux membres de son association, Phyto-victimes, et particulièrement à M. Jacky Ferrand – tous deux présents dans les tribunes aujourd'hui –, pour l’accueil qu’ils nous ont réservé en Charente et la grande sincérité de leurs propos. Je tiens à saluer leur dignité dans une épreuve pourtant très difficile. Je dois vous dire que leurs témoignages nous ont, certes, bouleversés, mais, surtout, conduits à traiter ce sujet en dehors de tout esprit partisan, en toute responsabilité et dans l’intérêt général.Je dois souligner que notre mission a bénéficié, tout au long de ses travaux, de l’intérêt marqué des sénateurs, tous groupes politiques confondus. Je remercie mes collègues membres de la mission commune de leur travail de leur implication et me félicite de l’excellente ambiance qui a prévalu tout au long de ces mois.La mission a débuté ses travaux en mars 2012 et a immédiatement décidé de limiter son champ d’investigation à l’impact des pesticides sur la santé des utilisateurs, qu’ils soient ou non professionnels, et de ceux qui se trouvent en amont de leur utilisation. Traiter des questions relatives à l’environnement ou à l’alimentation excédait le domaine auquel il était réaliste de consacrer nos investigations en quelques mois. Nous avons l’espoir que ce volet sera traité par une prochaine mission d’information.Nous avons achevé notre mission en octobre 2012, au terme de six mois de travaux, après avoir procédé à 95 auditions au Sénat et en province, grâce aux visites effectuées dans cinq départements, à savoir la Charente, le Lot-et-Garonne, le Morbihan, le Rhône et, enfin, le Val-de-Marne, précisément à Maisons-Alfort, avec une journée de travail à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES – soit, au total, une centaine d’heures de dialogue avec plus de 200 personnes.Notre mission s’est conclue avec l’adoption, à l’unanimité, d’un rapport comprenant plus d’une centaine de recommandations.Cette unanimité, que tous les membres de la mission souhaitaient, était un signal fort adressé aux acteurs concernés : jardiniers du dimanche, distributeurs professionnels ou « grand public », industriels, agents des collectivités territoriales et, bien sûr, agriculteurs.Les propositions de la mission sont d’importance naturellement très variable ; elles ont quelquefois suscité une adhésion plus ou moins marquée de chacun d’entre nous, selon nos sensibilités. Certains auraient souhaité aller plus loin, plus vite, d’autres avaient quelques appréhensions, mais nous souhaitions avoir une position commune forte pour faire entendre notre message unanime : la santé doit être au cœur de notre action.Nos travaux ont été ponctués par une actualité souvent riche qui a souligné le caractère parfois polémique, j’irais jusqu’à dire passionnel, des thèmes abordés par la mission.Ainsi, à titre d’exemple, au mois d’octobre 2012, la publication de travaux d’un universitaire consacrés aux effets des organismes génétiquement modifiés sur la santé, dont les médias se sont très largement fait l’écho, a conduit plusieurs membres de la mission à assister à l’audition commune de l’ANSES organisée par l'Assemblée nationale sur le sujet, controversé, de la nature des évaluations des dangers et des risques de ces produits pour la santé.Ce thème de réflexion était connexe à celui de la mission et illustrait un schéma parfaitement identique à celui que l’on connaît pour la dangerosité des pesticides : d’une part, des travaux scientifiques par nature partiels et controversés ; d’autre part, un manque cruel d’informations dans les domaines de l’épidémiologie, la toxicologie et l’expologie rendant impossible une analyse globale et contradictoire. Dans ce cas, il est toujours difficile de distinguer le fondement scientifique réel de l’emballement partisan, par ailleurs non dénué d’intérêt. Cela laisse le champ libre à toutes les interprétations, des plus rassurantes aux plus alarmistes. C’est la fameuse fabrique du doute…Avant de lui laisser la parole pour présenter le rapport et les recommandations de la mission, je souhaiterais remercier vivement et chaleureusement notre rapporteur, Mme Bonnefoy, pour le travail considérable qu’elle a fourni et l’esprit cordial et républicain avec lequel nous avons fait équipe.Le bureau a adopté cinq constats, qui ont servi de socle à la centaine de recommandations proposées et votées.Première constatation, les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués.En effet, les maladies liées à l’utilisation de produits phytosanitaires sont de deux ordres.Elles peuvent, d’une part, être la conséquence directe d’un accident. Dans ce cas, malgré l’actualité récente, la véritable difficulté est, pour celui qui en est victime, d’obtenir la reconnaissance qu’il s’agit d’une maladie professionnelle. Beaucoup, oui, beaucoup de progrès sont attendus sur le sujet.Ces maladies peuvent, d’autre part, être chroniques. Elles apparaissent dix, vingt ou trente ans après l’exposition aux risques, voire sur les générations suivantes.Dans ce cas – comme pour le tabagisme, en quelque sorte –, le risque est lointain, diffus et aléatoire pour l’utilisateur, donc plus difficile à cerner, plus difficile à admettre, plus difficile à dire et plus difficile à relier aux véritables causes.Enfin, les maladies qui apparaissent en nombre aujourd’hui – Parkinson, Alzheimer, cancer de la prostate ou cancer du sein… – sont le résultat de nombreuses années de pratiques sans information réelle sur le risque, sans véritable protection à l’exposition de molécules aujourd’hui souvent retirées du marché et ne prenant pas en compte les progrès réalisés ces toutes dernières années seulement.Aussi avons-nous l’ardente obligation de veiller, par des autorisations de mises sur le marché conformes aux risques et par la définition de conditions d’utilisation, à ce que les molécules d’aujourd’hui ne produisent pas de nouveaux effets sanitaires sur les personnes exposées ou sur leurs enfants.Deuxième constatation, le suivi des pesticides après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et l’effet des perturbateurs endocriniens est mal pris en compte.Il est clair qu’un grand nombre d’effets sont aujourd’hui mal appréhendés. Je suis certaine que Mme la rapporteur y reviendra, mais je signale dès à présent l’impérieuse nécessité que l’Europe prenne ces problèmes à bras-le-corps. Je pense notamment à la définition et à la classification des perturbateurs endocriniens, pour les produits phytosanitaires comme pour bon nombre de produits de consommation plus courante, aux méthodes d’évaluation des « effets cocktail » et des faibles doses ou encore à la nécessité de retravailler les contrôles post-autorisation de mise sur le marché.Troisième constatation, les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques. Mon collègue Alain Houpert interviendra sur cette question dans le débat. C’est un point essentiel du rapport, auquel il convient de donner des suites rapides et opérationnelles.Quatrième constatation, les pratiques industrielles, agricoles et commerciales n’intègrent pas assez la préoccupation de l’innocuité pour la santé du recours aux pesticides. Les industries agroalimentaires, les distributeurs, mais aussi les consommateurs doivent être plus impliqués dans tout le processus conduisant à la diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires. Taches sur les pommes, herbes sur les trottoirs, calibrage des légumes… : tout est aujourd'hui standardisé, normé, presque dévitalisé. Pouvons-nous imaginer de revenir en arrière, même raisonnablement ?Enfin, cinquième constatation, le plan Écophyto 2018 doit être renforcé. Sur ce point, mes chers collègues, vous me permettrez de vous faire part de mes observations.Si nous avons été confrontés à une grande diversité d’analyses et d’opinions, un dénominateur commun est apparu à l’ensemble des intervenants : la place centrale du dispositif Écophyto 2018, plan visant à diminuer le recours aux produits phytosanitaires tout en continuant à assurer un niveau de production élevé et de qualité.En effet, malgré les alertes lancées par des membres de la communauté scientifique et des associations depuis de nombreuses années, en France, la véritable prise de conscience de masse s’est produite, en grande part, grâce au Grenelle de l’environnement et à sa transcription dans le plan Écophyto 2018.La mobilisation impressionnante qui a suivi la mise en place de ce dispositif concerne l’ensemble des acteurs, et je veux ici saluer les efforts réalisés par tous.En premier lieu, je citerai bien sûr les exploitants agricoles, qui, malgré des réticences bien compréhensibles et l’existence d’un modèle de production agricole encouragé et ancré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont peu à peu – peut-être insuffisamment encore – pris conscience des dangers liés à l’utilisation des produits phytosanitaires. La parole est en train de se libérer, notamment sur l’existence de maladies chroniques. Aujourd’hui, les exploitants, et notamment les jeunes, ce qui est très encourageant, affirment leur volonté de mieux se former, de mieux se protéger, de mieux s’acheminer vers une moindre utilisation de produits chimiques.Bien sûr, il reste du chemin à parcourir, et la valeur d’exemple sur la durée est fondamentale. À ce titre, les fermes Dephy – Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires –doivent absolument continuer leur développement.Mais, monsieur le ministre, pour que cela fonctionne, nous devons également entendre l’anxiété des exploitants – et y répondre – lorsque des productions entières sont menacées de disparition sur notre territoire, faute de molécule agréée, de techniques alternatives ou encore de recherche suffisante. Je pense à cet agriculteur du Lot-et-Garonne déplorant la fin de la production de noisettes en France, alors que nous en étions les plus gros producteurs exportateurs il y a quelques années encore.Nous devons aussi entendre l’anxiété des producteurs face à une fiscalité qui, sous couvert d’intentions louables, peut favoriser les importations parallèles, les fraudes, voire le grand banditisme, véritable fléau dans certaines régions et sur certaines productions. Madame la ministre, monsieur le ministre, ce que nous avons entendu à ce sujet est totalement effarant. À cet égard, je salue le travail des équipes de police et de gendarmerie, les douanes et la justice ainsi que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui, sur ce sujet, doivent être soutenues et écoutés.Enfin, nous devons entendre la colère légitime des exploitants lorsque l’importation de pays européens les met en situation de concurrence déloyale, en faisant entrer sur notre territoire des fruits et des légumes traités avec des produits interdits en France.Je veux également m’adresser aux industriels producteurs de produits phytosanitaires. Dans leur démarche et dans leur logique économique mondialisée, ces derniers ont intégré le risque de stigmatisation à court terme de leurs produits, voire de leur interdiction. Pour pérenniser leur activité, ils sont dans l’obligation absolue de modifier la nature de leur recherche et de leur production. Ainsi, une action notable a été menée sur les baisses de volume, sur les nouveaux modes de protection, sur le recyclage des déchets… Je salue, par exemple, l’initiative Adivalor, pour « Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles ». Parallèlement, nombre d’entreprises du secteur choisissent d’orienter leurs recherches sur les techniques de biocontrôle et sur les évolutions de molécules actives.Bien sûr, nous devons être encore plus exigeants, plus vigilants et ne faire preuve d’aucune naïveté. Néanmoins, nous devons travailler avec ces industries, et non contre elles ! Si l’actualité récente sur les néonicotinoïdes doit nous conduire à renforcer et notre vigilance et notre exigence, nous ne pouvons cependant pas fermer les yeux sur les efforts réalisés.Je veux également saluer l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, son directeur, Marc Mortureux, et ses équipes, qui, dans des périodes difficiles de la révision générale des politiques publiques, ont su remettre en cause leur mode de fonctionnement, évoluer très significativement sur les questions de transparence et de lutte contre les conflits d’intérêt et prendre leurs responsabilités sur des sujets d’actualité - je pense aux épandages aériens ou au programme PERICLES sur les « effets cocktail ».Cependant, l’ANSES doit encore progresser, et il faut pour cela lui donner des moyens, non pas budgétaires mais humains. À ce propos, je vous rappelle que, financièrement, les moyens de l’Agence sont supportés par les redevances payées par les industriels déposant des demandes d’autorisation de mise sur le marché.Mais c’est probablement l’Agence européenne de sécurité des aliments qui doit évoluer le plus en profondeur et le plus vite, sur des sujets brûlants, de fond et de forme : reconnaissance des perturbateurs endocriniens – j’en ai parlé –, conflits d’intérêt, rémunérations des experts, réorganisation européenne des agréments, refonte des méthodes d’évaluation, pour sortir des modèles fondés sur les doses journalières admissibles et prendre en compte, par exemple, les effets dits « faibles doses ».La véritable révolution est bien là, monsieur le ministre de l’agriculture, et je compte sur votre force de conviction pour en être un acteur majeur.Il m’est impossible de ne pas aussi citer l’importance de la recherche dans son ensemble – recherche agronomique, recherche entomologique, recherche technique sur le matériel, recherche publique, recherche privée –, mobilisée pour développer des moyens de protection supplémentaire, de nouvelles techniques culturales, de nouvelles formulations, de nouvelles ergonomies pour les bidons, les flacons, les épandeurs, de nouvelles sélections variétales.Sans doute le fléchage des fonds de la recherche publique doit-il être plus volontariste. Sans doute devons-nous aussi, collectivement, ne nous priver d’aucun domaine de recherche : pas de complaisance, mais pas d’obscurantisme non plus !Enfin, je rends hommage aux collectivités territoriales, lesquelles sont de plus en plus nombreuses à renoncer à l’emploi de produits phytosanitaires ou, au moins, à réduire drastiquement leur utilisation. Nous les encouragerons à continuer dans ce sens.Bien d’autres acteurs auraient pu être cités. Qu’ils me pardonnent de ne pas l’avoir fait : le temps me contraint…Au regard des évolutions que j’ai évoquées et du chemin parcouru depuis trois ans, oui, j’affirme que le plan Écophyto 2018 est un succès qualitatif incontestable, de par la mobilisation qu’il a engendrée. Néanmoins, malgré cet élan national, force est de constater que les résultats quantitatifs obtenus en trois ans au titre de ce plan ne sont pas satisfaisants et que, pour tous les acteurs, de nombreux efforts restent à accomplir.Cependant, soyons justes et assurons la pérennité des actions entreprises. Les mécanismes mis en place ne sont opérationnels que depuis peu de temps. Certains sont encore en cours de déploiement. Ainsi, un grand nombre de nos recommandations se retrouvent dans le plan Écophyto 2018. Toutefois, nous avons estimé de notre devoir de les réaffirmer avec force, afin, justement, que ces mesures soient pérennisées et aient une chance d’atteindre leurs objectifs.Mes chers collègues, soyons ambitieux et exigeants, mais laissons-nous le temps de mesurer les résultats des actions entreprises. Les cycles de changement de modèle de production sont très longs. Trois ans, c’est un délai incroyablement court à l’aune des évolutions survenues au cours des cinquante dernières années !Tous les membres de la mission ont souhaité que les propositions retenues puissent prendre vie, par exemple, au travers de propositions de loi ou d’amendements, au fur et à mesure des textes que le Sénat aura à examiner.Nicole Bonnefoy et moi-même avons été reçues, le 3 décembre 2012, par vous, monsieur le ministre de l’agriculture, et, le 16 janvier 2012 dernier, par vous, madame la ministre de la santé. Nous avons également eu une séance de travail avec le cabinet de Mme Marylise Lebranchu, ministre chargée de la réforme de l’État. Soyez-en tous remerciés ! Ces entrevues nous ont permis de considérer avec vous les recommandations qui pouvaient être mises en œuvre.Pour terminer, permettez-moi de vous dire, madame la ministre, monsieur le ministre, que les membres de la mission, le rapporteur et moi-même sommes particulièrement heureux de pouvoir dialoguer avec vous aujourd’hui sur les recommandations de la mission afin que tout soit mis en œuvre pour que, une fois de plus, la santé soit au cœur de notre action et de nos préoccupations. 280 http://www.senat.fr/seances/s201301/s20130123/s20130123_mono.html#par_82 8862 37751 loi 2013-01-23 4 présidente de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement 2013-01-26 04:15:56 2013-01-26 04:15:56 http://www.nossenateurs.fr/seance/8862#inter_072c71912e7db52b825ee043027c42f2