1256924 2828 adb89219ebdbc373e5424cb4d154189b Je citerai aussi l’initiative de la charte « Terre saine », en Charente, le département de Nicole Bonnefoy.Selon une enquête menée par l’INRA et par Plante & Cité en 2009, 60 % des villes de plus de 50 000 habitants visent aujourd’hui un objectif de zéro phyto.Les exemples ne manquent donc pas qui prouvent que les alternatives aux pesticides existent et sont disponibles aujourd’hui pour les zones non agricoles.S’agissant de Versailles, il est intéressant de noter que cette ville a commencé par les fongicides, utilisés pour un certain nombre de traitements, avant d’attaquer la question des herbicides et du traitement des herbes folles sur l’espace public. Sur ce dernier point, les techniques alternatives – la végétalisation de l’espace public, les traitements mécaniques ou thermiques et, surtout, la sensibilisation – sont aujourd’hui bien connues et maîtrisées. Pour la lutte contre les maladies et les parasites, en revanche, on pense souvent c’est plus compliqué. Or l’exemple de Versailles montre que des solutions existent, notamment dans le cadre du bio-contrôle.Un rapport commandé en 2011 au député Antoine Herth par le gouvernement Fillon a fait le point en 2011 sur les techniques de bio-contrôle, c’est-à-dire sur les méthodes de protection des végétaux par le recours à des mécanismes naturels.Quatre principaux types d’agents de bio-contrôle peuvent être distingués : les macro-organismes auxiliaires, qui comprennent des invertébrés, des insectes ou des acariens utilisés de façon raisonnée pour protéger les cultures, la coccinelle constituant l’exemple le plus connu ; les micro-organismes, en particulier certains champignons, bactéries et virus utilisés pour protéger les cultures contre les ravageurs et les maladies ; les médiateurs chimiques, notamment les phéromones d’insectes, qui permettent de contrôler certaines populations d’insectes par la méthode de confusion sexuelle et le piégeage ; enfin, différentes substances naturelles d’origine végétale, animale ou minérale.Ces techniques sont déjà utilisées par l’agriculture et par les professionnels engagés dans le zéro phyto ; elles pourraient tout à fait être étendues à l’ensemble des utilisateurs non agricoles de pesticides. Interdire les phytosanitaires dans les rayons des magasins, c’est permettre des débouchés commerciaux à ces produits, donc le développement de leur production, qui est souvent le fait de PME locales, et non de grandes multinationales de la chimie.Cet usage non agricole des pesticides mérite donc pleinement d’être traité dans une proposition de loi spécifique, en ayant plusieurs enjeux en perspective.Le premier enjeu environnemental. Les milieux non agricoles représentent aujourd’hui 5 % des usages, lesquels comprennent les parcs et jardins publics, les terrains de sport, les zones industrielles, les voiries et trottoirs, les cimetières, les terrains militaires, les aéroports et, surtout, les jardins particuliers. On estime que 45 % des Français disposent d’un jardin ou d’un potager, ce qui représente 17 millions de jardiniers.C’est une source importante de contamination des eaux. Les désherbants, en particulier lorsqu’ils sont utilisés sur des surfaces imperméables comme les trottoirs, les cours bitumées ou les pentes de garage, se retrouvent dans les eaux superficielles ou souterraines. Cette présence entraîne très souvent une pollution des eaux liée au ruissellement. Une étude menée en Ille-et-Vilaine entre 1998 et 2001 a ainsi mis en évidence que le désherbage chimique sur des zones bitumées pouvait entraîner des transferts vers l’eau de l’ordre de 10 % à 40 % du produit épandu, ce qui est considérable.En comparaison, selon l’Institut du végétal, les transferts vers les eaux ne sont que de l’ordre de 1 % à 3 % pour les utilisations agricoles.Si l’usage non agricole est donc à première vue, en termes de quantités épandues, assez peu significatif, il représente en fait une pollution qui est loin d’être négligeable. Dans certaines communes périurbaines, des études ont montré que les taux de glyphosate dans les cours d’eau augmentaient considérablement après avoir traversé les zones urbanisées. Le glyphosate et son principal produit de dégradation, l’AMPA, menacent même parfois le respect des normes de potabilité eau brute... C’est le cas notamment de l’Erdre au niveau de Nantes, où nous disposons d’une prise d’eau de secours. L’exemple nantais fournit aussi une illustration d’une dynamique de territoires permettant d’aller vers le zéro phyto à l’échelle d’un bassin, complémentaire des exemples qu’a pu citer Joël Labbé. Notons également que les AMPA sont souvent considérés comme plus dangereux que le glyphosate lui-même.Je rappellerai en outre que de nombreux usages sont en réalité déjà prohibés par la réglementation. Plusieurs arrêtés encadrent l’application de pesticides sur les surfaces imperméabilisées comme les trottoirs et les zones non traitées à respecter à proximité des points d’eau, ou bien interdisent l’utilisation de ces produits dans les lieux fréquentés par le grand public ou des groupes de personnes vulnérables. J’ai été assez surpris de constater que ce niveau de réglementation n’était pas toujours très connu, y compris ici même. Il faut, sur ce point aussi, monsieur le ministre, mieux sensibiliser les élus locaux et leurs services, qui ignorent encore parfois la réalité de la réglementation et des contraintes d’utilisation.Si l’enjeu environnemental des usages non agricoles des pesticides est donc bien réel, l’enjeu sanitaire ne l’est pas moins.Ainsi que le rapport de la mission commune d’information sénatoriale l’a montré, les utilisateurs non professionnels de pesticides sont généralement mal informés et mal protégés lors de l’emploi du produit. Ils ont en outre tendance à surdoser, s’exposant ainsi d’autant plus à une contamination. Le rapport souligne que la première surface d’échange avec l’extérieur est la peau. Or les dangers dermatologiques et respiratoires d’une exposition aiguë aux produits phytosanitaires ne sont plus à prouver. Une expertise collective de l’INSERM parue en juin 2013 souligne l’existence, à long terme, d’une association positive – c'est-à-dire, en l’espèce, néfaste ! – entre exposition professionnelle à des pesticides et certaines pathologies chez l’adulte, dont la maladie de Parkinson et certains cancers.C’est cette problématique environnementale et sanitaire spécifique aux zones non agricoles que la présente proposition de loi vient encadrer.La commission du développement durable a apporté quelques modifications au texte initial, l’objectif étant chaque fois de sécuriser le dispositif tout en garantissant aux personnes publiques et aux non-professionnels l’accès à des alternatives aux pesticides.L’article 1er prévoit l’interdiction, pour les personnes publiques, d’utiliser des produits phytopharmaceutiques pour l’entretien des espaces verts, forêts et promenades relevant de leur domaine public ou privé. De nombreuses collectivités ayant déjà engagé cette démarche, il ne s’agit que de parachever la dynamique de réduction des pesticides.Nous avons adopté un amendement de réécriture de cet article, afin de préciser les modalités de cette interdiction.Sur la forme, il nous a paru plus opportun de placer ces dispositions au sein de l’article L. 253-7 du code rural, qui est relatif aux mesures de précaution concernant les produits phytopharmaceutiques.L’article précise désormais que les produits de bio-contrôle ne sont pas concernés par l’interdiction imposée aux personnes publiques. L’intention des auteurs de la proposition de loi était bien de favoriser les alternatives aux produits phytopharmaceutiques. Or la rédaction proposée faisait référence exclusivement aux préparations naturelles peu préoccupantes, qui figurent à l’alinéa 2, excluant de fait la majorité des produits de bio-contrôle. Nous avons donc rétabli ces produits.Nous avons aussi choisi de prévoir une dérogation pour prévenir la propagation des organismes nuisibles. Il s’agit là d’un motif de santé publique. En cas de danger sanitaire, les personnes publiques pourront, par dérogation, avoir recours aux pesticides chimiques classiques jusqu’à ce que la menace soit enrayée. C’est généralement ce que font les villes engagées dans le zéro phyto : elles se réservent une « trousse de secours » pour faire face aux organismes nuisibles les plus résistants.Nous avons créé une autre dérogation, pour un motif de sécurité publique cette fois. Certains établissements publics se trouvent en effet dans une situation particulière : pour Réseau ferré de France ou pour les aéroports, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques est souvent une obligation et un enjeu de sécurité publique, le long des voies ferrées ou des pistes d’aéroport.L’interdiction de l’article 1er ne s’appliquera donc qu’aux espaces verts, forêts et promenades « accessibles ou ouverts au public », ce qui n’empêche pas pour autant les aéroports ou RFF de progresser dans leurs propres pratiques – amis je sais qu’elles sont engagées dans une telle démarche.L’article 2 complète l’article L. 253-7 du code rural pour prévoir l’interdiction de la mise sur le marché, de la délivrance, de l’utilisation et de la détention des produits phytopharmaceutiques pour un usage non professionnel. Le non-respect de l’interdiction sera puni de deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, comme c’est aujourd’hui le cas pour la détention ou le commerce de pesticides non autorisés.Là encore, notre commission a logiquement adopté un amendement pour prévoir une exemption pour les produits de bio-contrôle : ces alternatives non chimiques doivent être également accessibles aux utilisateurs non professionnels.Une dérogation en cas de danger sanitaire du fait d’organismes nuisibles est également prévue, en cohérence avec l’article 1er.L’article 3 prévoit la remise, avant le 31 décembre 2014, d’un rapport au Parlement sur les freins juridiques et économiques empêchant le développement des préparations naturelles peu préoccupantes dites PNPP, au rang desquelles figurent notamment le purin d’ortie, l’ail en décoction ou en infusion, le sucre, le vinaigre blanc.Une procédure dérogatoire de mise sur le marché a été définie pour ces substances par un décret du 23 juin 2009. Dès lors que les PNPP sont considérées comme des produits phytopharmaceutiques, elles doivent faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché simplifiée et leurs substances doivent figurer sur la liste des substances autorisées à l’annexe I du règlement européen.Ce cadre juridique n’est pas satisfaisant. Une inscription à l’annexe coûte de 40 000 à 200 000 euros. Aucun acteur économique de petite taille n’est susceptible d’engager de tels frais, a fortiori pour des produits peu onéreux et relevant du domaine public.Or, sur ce point, la France prend beaucoup de retard sur ses voisins européens. En Allemagne, plus de 400 substances différentes, qu’ils dénomment « fortifiants des plantes », sont déjà enregistrées. En France, seul le purin d’ortie a été, après le débat et la mobilisation que l’on sait, autorisé par un arrêté de 2011, et encore, sous une recette que les professionnels ont parfois baptisée « piquette d’ortie »...Notre commission est convaincue de l’urgence à encourager le développement des préparations naturelles non préoccupantes.Je signale au passage que, au cours de la discussion des articles, il nous faudra veiller à la cohérence entre l’alinéa 2 de l’article L. 253-1 du code rural et la définition de la procédure européenne prévue aux articles 22 et 47 du règlement européen. Le débat sur l’article 3 devra nous fournir l’occasion d’approfondir cette question.Ces substances pourront contribuer à la réduction des traitements chimiques traditionnels, et compléter de manière utile l’offre d’alternatives pour les jardiniers professionnels et amateurs. À ce stade, nous ne pouvons que demander un rapport sur le sujet, mais c’est un point important.Pour finir, notre commission a adopté un amendement créant un article 4, afin de fixer la date d’entrée en vigueur des articles 1er et 2. Le texte initial l’envisageait pour 2018. Nous avons préféré repousser l’interdiction de l’usage des pesticides par les personnes publiques au 1er janvier 2020, ce qui correspond de manière cohérente au temps d’un mandat municipal. En effet, d’après les expériences de nombreuses villes, cinq à six années sont nécessaires pour réussir le passage au zéro phyto.Pour les usagers non professionnels, l’interdiction d’achat est repoussée au 1er janvier 2022, en vertu de l’argument, déjà avancé dans le cadre des travaux de la mission présidée par Sophie Primas, selon lequel c’est le temps qu’il faudrait aux industriels pour développer une gamme de produits et obtenir les homologations. Ce point a donné lieu à un débat en commission : les avis n’étaient pas tout à fait consensuels. Nous avons finalement trouvé un point d’équilibre, et c’est celui qui figure dans la proposition de loi.D’une manière générale, d’ailleurs, le travail de la commission, mené sous la houlette de son président, nous permet d’aboutir à un texte pragmatique.Pour les personnes publiques, le texte liste de manière précise et limitée les espaces visés. C’était tout le talent de l’auteur du texte d’avoir essayé, non pas d’établir des dérogations, mais de dresser une liste positive qui, étant inscrite dans le code, ne serait pas sujette à contestation.Ainsi, ne seront pas concernés les cimetières – même si le zéro phyto y est déjà pratiqué dans certaines communes – et les terrains de sport, non plus que les voies ferrées ou autres espaces dont l’entretien présente des enjeux en termes de sécurité publique.Ce texte laisse du temps aux professionnels comme aux particuliers pour s’adapter à la nouvelle interdiction. Il laisse aux industriels le temps de développer une offre alternative, qui existe aujourd’hui, mais se verra d’autant plus encouragée avec l’adoption de la proposition de loi.Ainsi ajusté, le texte me semble équilibré et, surtout, applicable par les principaux intéressés. Je vous invite donc à voter cette proposition de loi, afin que l’encadrement des pesticides en zone non agricole puisse s’instaurer rapidement et dans de bonnes conditions.Bien sûr, il restera d’autres étapes pour s’affranchir des produits phytosanitaires, notamment dans les espaces agricoles ou les espaces privés traités par des professionnels, cette loi marquera un moment clé en ce qu’elle va promouvoir une vision différente, nous faire changer de paradigme dans notre action sur la nature. En effet, ce texte nous fait passer d’un rapport démiurgique à la nature à un rapport d’acceptation de notre insertion dans le vivant. Il s’agit donc d’une loi à très forte valeur culturelle. Le niveau de consensus que nous atteindrons ce soir témoignera aussi symboliquement de cette volonté collective en faveur d’une relation plus apaisée à notre environnement, car les produits phytosanitaires constituent un des grands enjeux d’environnement et de perte de biodiversité.Puisque Joël Labbé a conclu en citant Albert Camus, je voudrais à mon tour rendre hommage à ce grand écrivain en évoquant le texte qu’il fit paraître le 8 août 1945, quarante-huit heures après l’explosion d’Hiroshima, et qui me semble constituer l’un des textes fondateurs de l’écologie politique. Dans ce très beau texte, qui tranchait avec le soutien très général que suscitait alors l’usage de la bombe parce qu’elle permettait de mettre fin à la guerre, Camus parle de la naissance de la « civilisation de la barbarie mécanique ».Eh bien, nous, avec ce projet de loi, nous sortons peut-être de la civilisation de la barbarie chimique. § 6020 http://www.senat.fr/seances/s201311/s20131119/s20131119_mono.html#intv_par_1321 10231 42732 loi 2013-11-19 199 2013-11-23 04:10:20 2013-11-23 04:10:20 http://www.nossenateurs.fr/seance/10231#inter_adb89219ebdbc373e5424cb4d154189b