1505030 2614 69a2a90291ac2cb463b7fcb4680127eb Je suis très heureuse de vous présenter ce projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, qui cherche à créer un nouvel élan en fédérant les sensibilités par-delà leurs différences, au service de la protection et de la valorisation de nos ressources naturelles terrestres, aquatiques et marines, pour définir une bonne harmonie entre la nature et les êtres humains qui l'occupent. Je sais l'attention que votre commission porte à ces enjeux écologiques et économiques. Je connais votre engagement, monsieur le président, pour avoir travaillé avec vous sur la transition énergétique. Je salue l'engagement de longue date de Jérôme Bignon, ainsi que l'investissement des élus des territoires ultra-marins qui concentrent 80 % de notre biodiversité.Ce projet de loi s'inscrit dans le prolongement d'un travail législatif ancien, dont le moment fondateur est la loi du 18 juillet 1976, première loi de portée globale sur la nature. J'ai eu l'honneur de défendre la loi de protection et de valorisation des paysages du 8 janvier 1993, puis il y a eu les avancées du Grenelle de l'Environnement. Des progrès ont été réalisés, tempérés par l'accélération de la dégradation de notre patrimoine naturel. Le temps est venu de donner force de loi à une vision actualisée et élargie de la préservation de ce capital naturel qui est aussi une source de croissance verte et de croissance bleue. Cette nouvelle approche se fonde sur le principe de solidarité écologique qui prend en compte les écosystèmes et leurs interactions, car dans la chaîne du vivant dont nous sommes à la fois acteurs et tributaires, tout se tient et tout se soutient. Les écosystèmes dont la biodiversité est tissée nous rendent des services innombrables et vitaux, pour l'agriculture et la régénération des sols, pour la régulation climatique et la protection de nos littoraux, pour la qualité de l'air et de l'eau, pour la pollinisation des plantes dont dépend notre alimentation, pour les médicaments, pour le bien-être et pour l'équilibre que nous puisons dans la nature ; sans oublier ses services culturels, la beauté et la variété de notre patrimoine paysager qui sont un facteur d'attractivité économique et touristique ; sans oublier non plus ces modèles que la nature offre aux chercheurs, aux ingénieurs et aux architectes qui en tirent les techniques les plus pointues et les plus performantes comme le bio-mimétisme ou la bio-inspiration dont on voit les réalisations au salon aéronautique avec l'avion solaire. Un pionnier de l'approche systémique a comparé cette dégradation de la biodiversité à un pullover dont une maille saute : au début, cela ne semble pas gênant, mais quand tout se détricote, on se rend compte de l'importance de chaque maille ! Il ne s'agit pas de mettre la nature sous cloche ni de la figer, mais d'en préserver et d'en restaurer le potentiel, car ce tissu de relations est à la fois notre assurance sur la vie et un gisement de richesses et d'activités, de filières d'avenir, d'emplois dans les territoires, bref, de réconciliation entre l'écologie et l'économie. Nous devons tirer les leçons de l'expérience, renforcer ce qui a fait ses preuves, simplifier et clarifier ce qui s'est additionné au fil du temps au détriment de la cohérence et de la visibilité, créer des outils plus opérationnels et capables de fédérer les énergies. Voilà l'esprit dans lequel ce texte a été élaboré. J'espère que le Sénat l'améliorera. Je vous présente une loi d'action pour mobiliser toutes les forces vives de la nation, les citoyens, les associations, les chercheurs, les entreprises, les territoires, sans oublier les agriculteurs dont je connais les difficultés et qui sont les gardiens de cette nature qu'ils font fructifier. C'est pourquoi je me réjouis de l'adhésion, en mars, des organisations agricoles à la stratégie nationale de la biodiversité, et j'ai tenu à leur réserver deux places au conseil de la future Agence nationale pour la biodiversité, comme elles le demandaient. Il est désormais nécessaire d'établir une relation plus harmonieuse avec la nature pour agir non pas contre elle, mais avec elle, et de faire de l'urgence de ce rééquilibrage non pas une contrainte, mais une chance. De l'école, où l'éducation à l'environnement est fondamentale, aux gestes quotidiens que chacun peut accomplir, en passant par ces sciences participatives qui associent les citoyens à la collecte et à l'utilisation des données comme le fait le Muséum national d'Histoire naturelle, la reconquête de la nature est un vaste chantier d'intérêt général, qui a besoin de tous. C'est aussi un enjeu démocratique, et je souhaite donner une nouvelle impulsion au dialogue environnemental en modernisant notre droit à l'environnement et en démocratisant nos procédures.Ce projet de loi prétend valoriser le patrimoine naturel et enrayer la disparition des espèces. Il modernise la protection des espaces naturels et des espèces menacées en accentuant ce qui marche : il renforce la simplification des procédures des parcs naturels régionaux et les interventions du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Il crée de nouveaux outils comme les zones prioritaires pour la biodiversité. Il renforce la lutte contre le trafic d'espèces protégées, qui est la quatrième source d'enrichissement illicite et de criminalité dans le monde, en multipliant les sanctions par dix. Des actions sont déjà engagées, comme le premier plan national d'action en faveur des abeilles et des pollinisateurs, « France, terre de pollinisateurs », dont la valeur économique est évaluée à 1, 5 milliard d'euros par an. J'ai également suspendu l'exportation d'ivoire brut, et demandé au Commissariat général au développement durable de faire des propositions pour en restreindre la commercialisation sur le sol français. Nos douaniers ont fait récemment une prise exceptionnelle de trafic d'ivoire. C'est une loi pour innover sans piller. Contre la bio-piraterie, le projet instaure un mécanisme de partage équitable des avantages tirés de la biodiversité et des savoirs traditionnels autochtones, conformément au protocole de Nagoya. Certaines entreprises anticipent déjà cette démarche. La Polynésie française, victime de bio-piraterie dans les années 1980, a réussi à reprendre la maîtrise de la filière du monoï, issu du gardénia tahitien et d'un savoir-faire ancestral. C'est une loi pour prévenir et combattre les effets du dérèglement climatique. Elle accélère la création de continuités écologiques et des trames vertes et bleues que beaucoup de régions ont engagées. Elle encourage le développement d'espaces volontaires d'écosystèmes. L'ensemble des schémas régionaux de cohérence écologique seront finalisés à la fin de cette année. Le projet prévoit que l'État mettra à disposition du public une carte de l'érosion du littoral. Il crée également le premier programme français de protection de 55 000 hectares de mangroves et de 75 % des coraux, comme cela avait été annoncé dans le message de la Guadeloupe en octobre dernier et lors du sommet des Caraïbes de mai 2015. Enfin, le projet de loi prévoit l'obligation pour toutes les zones commerciales d'intégrer des toitures végétalisées ou des panneaux photovoltaïques, ainsi que des parkings perméables pour une meilleure gestion de l'eau. Les toitures végétalisées représentent une opportunité considérable de réduction des consommations d'énergie, jusqu'à 40 % de réduction des dépenses de climatisation, selon certaines études. C'est une loi pour développer la croissance bleue. La France est la deuxième puissance maritime mondiale. Le projet de loi crée des zones de conservation halieutiques, c'est-à-dire des zones maritimes ou fluviales qui protègent le cycle de conservation des espèces. Il renforce les outils comme les aires marines protégées et encadre les activités en haute mer. La France protègera 20 % de ces aires marines. Après le parc naturel marin d'Arcachon et celui de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, trois autres parcs sont à l'étude, en Martinique, dans le golfe normand-breton et au Cap Corse. C'est une loi pour protéger la santé et limiter la pollution. Le texte reconnaît le lien entre biodiversité et santé. En favorisant le maintien des haies, des bosquets, des mares, la loi facilite le recours à l'épuration naturelle de l'eau. Elle interdit le rejet en mer des eaux de ballast non préalablement traitées, qui transportent des espèces nuisibles envahissantes. Le Ministère a engagé l'opération « Terre saine, communes sans pesticides », pour anticiper l'arrêt des pesticides utilisés par les collectivités. Je salue le travail des sénateurs qui ont adopté la proposition de loi de Joël Labbé sur l'usage des pesticides par les particuliers et les collectivités. Avec Stéphane Le Foll, nous avons engagé la finalisation du plan Ecophyto 2. La France va interdire la vente en libre-service des pesticides utilisés par les 17 millions de jardiniers-amateurs, soit 4 000 tonnes, dès le 1er janvier 2016 pour ceux contenant du glyphosate, classé comme cancérigène par l'OMS. Je sais que les sénateurs ont fait plusieurs propositions concernant les pesticides dangereux pour la santé, notamment dans le rapport de Nicole Bonnefoy. Le conseil européen des Académies des sciences a conclu en avril 2015 aux sévères effets négatifs des néonicotinoïdes sur la faune, l'eau et les sols ; certaines publications montrent une neuro-toxicité pour l'homme. La France a engagé l'extension du moratoire européen sur l'ensemble de ces pesticides. J'ai saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) afin de définir les nouvelles interdictions d'usage potentiel en accompagnement des réévaluations européennes. Le gouvernement a par ailleurs demandé à la Commission européenne d'accélérer la réévaluation scientifique conduite par l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Nous soutiendrons les projets territoriaux qui visent la suppression des néonicotinoïdes et le développement des alternatives au travers du plan Ecophyto 2.C'est une loi pour reconquérir les paysages. Les paysages du quotidien comme les sites les plus remarquables constituent le cadre de vie de tous les Français. Ils contribuent à forger l'image de la France et à transmettre des traditions. Nous devons veiller sur eux et leur être fidèles. Enfin, cette loi crée les outils d'un pilotage plus transparent, plus efficace et plus lisible. Elle rassemble les missions et en simplifie les structures, avec la création d'une instance unique d'expertise scientifique et technique, du Conseil national de la protection de la nature, instance de débat qui rassemble toutes les parties prenantes, du Comité national de la biodiversité et de comités régionaux de la biodiversité, dans chaque région et dans les territoires d'outre-mer, qui seront fusionnés avec les comités de bassin.La loi crée l'Agence française de la biodiversité qui réunira l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'Agence des aires marines protégées, les Parcs nationaux de France et l'Atelier technique des espaces naturels. Une unité commune à l'Agence et au Muséum d'Histoire naturelle sera mise en place afin de mieux articuler la recherche, l'expertise et la diffusion des connaissances. L'Agence disposera d'un budget d'environ 60 millions d'euros au titre du volet « eau et biodiversité » du programme des investissements d'avenir, qui s'ajoutera à son budget de 230 millions d'euros. J'ai installé une équipe de préfiguration de cette Agence, parrainée par Hubert Reeves et dont Gilles Boeuf préside le conseil scientifique. Cette structure est dirigée par Olivier Laroussinie, actuel directeur de l'Agence des aires marines protégées. J'ai réuni en février dernier un atelier sur la déclinaison des objectifs de la future agence dans les outre-mer, et la préfiguration de ses antennes ultra-marines, animé par les députés Serge Letchimy et Victorin Lurel. Un séminaire réunissant tous les partenaires de la future agence s'est tenu les 22 et 23 mai derniers à Strasbourg. L'équipe de préfiguration m'a remis le 11 juin son pré-rapport, qui conforte les orientations initiales. L'Agence donnera une meilleure lisibilité à la stratégie française et appuiera nos positions à l'international. Elle vise à décloisonner les politiques de l'eau et de la biodiversité terrestre et marine. Elle sera le lieu d'une expérimentation inédite des relations entre l'État et les collectivités, avec une forme d'organisation très souple, adaptée aux niveaux régional et départemental. Toutes les collectivités sont concernées, et le département joue un rôle important avec la gestion des espaces naturels sensibles.Les moyens financiers et humains de l'Agence devront être précisés, ainsi que son organisation territoriale, son implantation immobilière, son calendrier de création. Les politiques de biodiversité terrestre, aquatique et marine devront être mieux intégrées. Enfin, il faudra développer la mutualisation des moyens, en partenariat avec les collectivités, le monde associatif et le secteur économique, mais aussi avec des établissements publics de l'État tels que les agences de l'eau et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). L'élargissement du champ des compétences des agences de l'eau à la biodiversité et au milieu marin facilitera l'intégration des acteurs des territoires dans la mise en oeuvre de ces politiques. L'Assemblée nationale a proposé de faire évoluer leur gouvernance, afin de renforcer le positionnement des usagers non économiques et de tenir compte des remarques de la Cour des comptes en matière de transparence et de prévention des conflits.L'enjeu économique et social de la biodiversité, de la nature et des paysages est immense. C'est un potentiel d'innovations scientifiques et techniques, de création de richesses, d'activités et d'emplois durables, capable de donner un élan à la croissance verte et à la croissance bleue. C'est aussi un nouveau modèle de développement de société. L'essor rapide du génie écologique qui représente déjà un demi-millier d'entreprises et 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires est bien le signe avant-coureur du possible et une raison supplémentaire d'agir. Comme le disait Robert Barbault, la biodiversité est une véritable bibliothèque d'innovations, au sein de laquelle les bibliothèques de tous nos pays réunis ne représentent même pas un bout d'étagère. Voilà une perspective passionnante, riche de nouveaux savoirs, de nouvelles créations et de nouveaux progrès. Hubert Reeves a coutume de dire que le temps presse, mais que la bonne nouvelle, c'est que l'action est possible pour que l'humanité reprenne en main ces biens communs que sont la biodiversité et le climat : « Issus nous-mêmes de la biodiversité, utilisons sa stratégie, innovons, et n'oublions pas que négliger les questions liées à la biodiversité, c'est les laisser s'aggraver avec le temps pour les retrouver plus tard plus difficiles à résoudre ». Nous sommes à la veille de la publication de l'encyclique du pape François qui dira aussi des choses formidables sur les relations entre l'être humain et la nature qui l'entoure. 600 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20150615/devdur.html#par123 13067 50811 commission 2015-06-17 5847 ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie 2015-06-20 04:13:34 2015-06-20 04:13:34 http://www.nossenateurs.fr/seance/13067#inter_69a2a90291ac2cb463b7fcb4680127eb