152669 2479 2a5c3e8735493fbdc44e6f3a7911c63a Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, en premier lieu, remercier le président du Sénat, Gérard Larcher, ainsi que le président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, Jean-Paul Emorine, d’avoir activement contribué à faire inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée.Permettez-moi, en second lieu, de saluer notre collègue rapporteur Rémy Pointereau, qui a considérablement amélioré la rédaction du texte proposé. Je tiens tout particulièrement à souligner son engagement, ainsi que le travail qu’il a réalisé au sein de la commission.En 2050, notre planète comptera près de 10 milliards d’habitants. Derrière ce chiffre impressionnant se présente une série de défis que l’homme va devoir relever. Parmi ceux-ci, nourrir la population mondiale est, nous en sommes tous conscients, l’enjeu capital, crucial, même, d’autant que les contraintes sont déjà nombreuses avec « seulement », si je puis dire, 6 milliards d’êtres humains.Les difficultés climatiques – sécheresses ou pluies diluviennes – contribuent à la spéculation sur les produits agricoles. Par ailleurs, le développement de l’urbanisation réduit chaque jour les surfaces agricoles, et des États se meurent de ne pouvoir accéder à certaines matières premières à des prix raisonnables.Ces contraintes ont entraîné l’absence de sécurités alimentaires, et certains pays ont dû faire face à des « guerres du pain ».Dans l’état actuel des choses, la pénurie de blé viendra avant celle du pétrole.Je sais, monsieur le ministre, que le Gouvernement partage ces préoccupations ; il s’est d’ailleurs fortement engagé en faveur du redéveloppement des productions agricoles.La semaine dernière, à l’occasion du G20 agricole, le Président de la République a déclaré : « Pour produire plus et mieux, nous devons réinvestir dans l’agriculture. [...] Nous devons également encourager la recherche et l’innovation, par des programmes de coopération internationale. »Vous-même, monsieur le ministre, avez inscrit l’importance du développement des outils de la protection intellectuelle des variétés végétales dans votre déclaration ministérielle de ce même G20 agricole, et je vous cite : « Nous favoriserons l’innovation dans la sélection variétale, y compris en renforçant les mécanismes juridiques agréés au niveau international concernant les variétés végétales. »Ces ambitions que nous avons au niveau international, nous devons également les avoir pour notre pays. Et il ne faut pas être un « spécialiste », ce qui est loin d’être mon cas, pour savoir que, pour relancer la recherche agricole en France, il faut lui en donner les moyens.L’amélioration des plantes, qui a débuté il y a des milliers d’années et a permis, par exemple, de transformer le téosinte en maïs, est cruciale. Elle doit donc être non seulement reconnue, mais soutenue, et c’est tout l’objectif de ce texte.En France, au xixe siècle, la recherche s’est développée et spécialisée, donnant naissance à notre filière semencière, qui fait aujourd’hui référence.Avec un chiffre d’affaires de 2, 5 milliards d’euros, dont 1 milliard d’euros à l’exportation, 75 entreprises de sélection, dont 70 % de PME de type familial ou coopératif, 15 000 emplois directement liés à la filière « semences » et 18 000 agriculteurs multiplicateurs de semences, cette filière nous permet d’occuper une place prépondérante sur l’échiquier mondial, puisque la France est le deuxième exportateur et le troisième producteur mondial, derrière les États-Unis et la Chine. Néanmoins, elle est en danger.Quand le budget consacré à la recherche par l’ensemble des entreprises françaises semencières atteint chaque année 200 millions d’euros, la seule entreprise américaine Monsanto dispose, elle, d’un budget de 1 milliard d’euros, soit cinq fois plus !En outre, dans les années soixante, l’importance de la création variétale a été reconnue en accordant aux créateurs de nouvelles variétés le bénéfice de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans laquelle il est affirmé que : « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. ».De même, désireuse de prendre en compte la particularité de l’amélioration des plantes, la France a créé, en 1961, un droit spécifique de propriété intellectuelle sur les obtentions végétales : le certificat d’obtention végétale, ou COV.Toutes ces initiatives ont été à l’origine de progrès agricoles spectaculaires. Ainsi, le rendement du blé a été multiplié par trois et plus de cent cinquante variétés de blé sont aujourd’hui cultivées en France.Néanmoins, les nouveaux enjeux apparus au XXe siècle - changements climatiques, souveraineté alimentaire, développement durable, génomique des plantes, pour ne citer que ceux-là - nous obligent.La recherche est cruciale. Elle doit donc disposer d’un cadre réglementaire et d’un mode de financement à la hauteur des enjeux de notre époque.Cette proposition de loi vient combler un retard anormal pris par notre pays dans la transposition de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales de 1991, dite « convention UPOV », dont la France avait pourtant pris l’initiative.Elle conforte les spécificités du certificat d’obtention végétale, qui reposent sur trois principes fondamentaux.Le premier principe fondamental est de reconnaître la nouveauté dans les champs et non dans les tribunaux.Le deuxième principe fondamental est de maintenir l’accès à la variété nouvelle pour la sélection : c’est l’exception de sélection.Ce concept, indispensable aux chercheurs, permet à ces derniers d’utiliser librement et gratuitement comme ressources génétiques dans leur travail d’amélioration des plantes l’ensemble des variétés protégées par un certificat d’obtention végétale.Remarquons-le, depuis que la Convention sur la diversité biologique a reconnu la souveraineté des États sur leurs ressources génétiques, les 70 000 variétés protégées dans le monde par un certificat d’obtention végétale sont les seules ressources totalement libres et disponibles pour la sélection.Cette philosophie que nous défendons par le biais de ce texte est à l’opposé de celle du brevet, qui bloque totalement l’accès à la variété brevetée.Mis en place aux USA et dans les pays du Pacifique, le brevet est une menace contre notre certificat d’obtention végétale, synonyme de liberté, de gratuité et de partage.Enfin, le troisième principe fondamental inscrit dans cette proposition de loi vise à empêcher l’appropriation indue de la variété par l’introduction d’un gène breveté.Sur l’initiative de notre collègue Jean Bizet, le Sénat a déjà pris une première disposition à l’occasion de la transposition en droit français de la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.Cette disposition que nous avons votée, tout comme l’Assemblée nationale, introduit une exception de sélection partielle sur ces inventions, ainsi qu’une exception pour les semences de ferme.En nous engageant en faveur de cette proposition de loi, nous franchirons une seconde étape avec l’introduction du concept de « variété essentiellement dérivée », qui évitera que les multinationales des biotechnologies ne puissent s’approprier totalement la variété d’origine en demandant un certificat d’obtention végétale sur la forme modifiée de la variété après avoir simplement introduit un gène breveté dans une variété protégée existante, par exemple un gène Bt, le gène de résistance à la larve de la pyrale, qui attaque le maïs.Ainsi les droits du sélectionneur d’origine seront préservés.Enfin, cette proposition de loi améliore la pratique du certificat d’obtention végétale en renforçant la rémunération de la recherche, tout en la répartissant mieux entre tous les bénéficiaires.Vous l’aurez compris, je vais parler des semences de ferme.Aujourd’hui, force est de constater que l’effort de financement – obtenu grâce au paiement, par les agriculteurs, de droits de propriété intellectuelle, via des royalties sur les semences certifiées – n’est pas porté équitablement et n’est pas suffisant.Si tous les exploitants du monde agricole souhaitent des semences qui leur assurent une production de qualité, certains ne contribuent pas au financement de l’innovation.Je prendrai l’exemple du financement de la recherche par un producteur de blé tendre, car il est symbolique.Cultivé sur près de 4, 5 millions d’hectares par plus de 175 000 agriculteurs, le blé tendre compte au nombre des céréales les plus exploitées sur notre territoire.L’agriculteur qui est payé aujourd’hui 200 euros par tonne de blé, avec un rendement moyen de 7 tonnes à l’hectare, est rétribué à hauteur de 1 400 euros par hectare.S’il a utilisé des semences de blé tendre certifiées pour assurer sa production, il contribue au financement de la recherche à hauteur de 10 euros, sur 1 400 euros par hectare.S’il a utilisé des semences de ferme issues de variétés nouvelles protégées pour assurer sa production, grâce à l’accord trouvé entre obtenteurs et producteurs de blé, il contribue au financement de la recherche à hauteur de 3, 50 euros, toujours sur 1 400 euros par hectare.S’il a en revanche utilisé des semences de ferme issues de variétés « anciennes » non protégées pour assurer sa production, logiquement il ne finance plus la recherche.Les agriculteurs contribuent ainsi, chaque année, à ce financement pour près de 27 millions d’euros à partir des semences certifiées et pour plus de 8, 5 millions d’euros à partir des semences de ferme, grâce à l’accord interprofessionnel pour la mise en place d’une cotisation volontaire obligatoire – CVO – sur le blé tendre, signé en 2001.Tout en faisant des semences de ferme et en participant au financement de la recherche, les agriculteurs souhaitent utiliser l’innovation apportée par ces nouvelles variétés.Ce texte s’inscrit dans cette volonté et vise à autoriser enfin les semences de ferme et à donner un cadre légal à cet accord sur le blé tendre et l’étendre à d’autres espèces.Il offre ainsi un cadre réglementaire à cette pratique ancestrale, aujourd’hui très répandue sur des espèces comme les céréales à paille – blé, orge, avoine –, le colza ou les plants de pommes de terre.La proposition de loi que j’avais déposée se voulait à la fois équilibrée et ambitieuse. Le travail mené depuis son dépôt permet à tous les acteurs du monde agricole de sortir « gagnants ».Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, face aux enjeux qui se présentent à nous, je crois en la force et en la réussite de la recherche française.C’est toute la philosophie du texte que j’avais déposé et qui a été fortement confortée par la commission et le travail du rapporteur que de contribuer à défendre la compétitivité de notre agriculture dans le monde et à en partager équitablement les fruits avec tous.Attendue par l’ensemble des obtenteurs français et une large majorité des agriculteurs qui ont su se retrouver autour d’un texte faisant l’unanimité, cette proposition de loi apporte, me semble-t-il, des réponses équilibrées et ambitieuses à une série de problématiques cruciales pour notre agriculture, pour notre recherche et pour la population mondiale.Certains de nos collègues doutent de ce texte, au prétexte de la reconnaissance que nous devons aux paysans sélectionneurs qui nous ont conduits du téosinte au maïs, alors que ces mêmes collègues n’ont aucune reconnaissance pour ceux qui, demain, nous permettront de nous nourrir comme ils nous le permettent aujourd’hui !En d’autres termes, nos collègues souhaitent que nous nous nourrissions de téosinte, alors que la majorité agit pour que la population puisse se nourrir de maïs. Entre les deux, mon choix est fait !Les mêmes, sous prétexte de lutter contre la brevetabilité du vivant, veulent affaiblir le seul système équilibré qui garantit le droit du créateur comme celui de la société. Leur vision nous livrerait ainsi pieds et poings liés aux multinationales des biotechnologies.J’aimerais à cette occasion reprendre quelques mots d’un auteur apprécié par nos collègues installés sur les travées de gauche : « Ni le blé ni la vigne n’existaient avant que quelques hommes, les plus grands des génies inconnus, aient sélectionné et éduqué lentement quelque grain ou quelque cep sauvage. »Je ne doute pas que nos collègues de l’opposition auront reconnu le style et apprécié la vision avant-gardiste de Jean Jaurès, qui, bien avant ce débat, avait conscience de l’importance de la recherche et de l’importance qu’il y a à la défendre.Cette pensée pleine de vérité s’inscrit totalement dans cette proposition de loi, qui est une modeste reconnaissance du travail de nos sélectionneurs, nos « génies inconnus », ainsi qu’une contribution à la sécurité alimentaire mondiale face aux défis que nous avons à relever en la matière.En outre, cette proposition de loi est conforme aux valeurs que porte la France et que, bien entendu, je partage. Depuis que je l’ai déposée, elle a été très largement améliorée par le rapporteur et la commission. Il est bien évident que je voterai ce texte. 9100 http://www.senat.fr/seances/s201106/s20110629/s20110629_mono.html#par_1212 396 6221 loi 2011-06-29 7 auteur de la proposition de loi 2011-11-06 01:13:55 2011-11-06 01:13:55 http://www.nossenateurs.fr/seance/396#inter_2a5c3e8735493fbdc44e6f3a7911c63a