1649454 2211 dbedbff6f42e8858cd6ddbfc437d50e0 Notre étude a pour l'essentiel été réalisée en 2013 : elle est donc déjà vieille de trois ans. Je le précise à titre de précaution même s'il est fort possible que la situation ait assez peu évolué depuis. L'objet de notre étude était de faire le point sur la production et la consommation d'agriculture biologique dans les départements d'outre-mer. Nous nous sommes appuyés sur une enquête de terrain en réalisant 110 entretiens outre-mer. Nous avons également réalisé deux enquêtes sur des bassins de production au Brésil et en République dominicaine, ainsi qu'une enquête auprès d'utilisateurs de produits tropicaux en métropole.Nous avons dressé trois principaux constats. Tout d'abord, le marché des produits « bio » sur l'ensemble des DOM est assez peu développé puisqu'il ne représente qu'environ 30 millions d'euros. Ensuite, ce marché est largement approvisionné par des produits d'importation venant essentiellement de métropole. Enfin, la production dans les DOM est relativement limitée, l'agriculture biologique y couvrant moins de 1 % de la surface cultivée. La Guyane fait cependant exception puisque 10 % de la surface agricole utile (SAU) est cultivée en « bio », même s'il faut nuancer ce constat en considérant qu'il s'agit surtout de prairies mobilisées pour un élevage bovin très peu intensif. En d'autres termes, le « bio » dans les DOM est un marché étroit qui se développe par l'importation tandis que les producteurs ultramarins sont rares et que les exploitations sont fragiles, de petite taille et surtout gérées par des doubles actifs qui disposent d'une autre source de rémunération.Comment expliquer cette situation ? Premièrement, l'accès au foncier est difficile, plus ou moins selon les départements mais globalement difficile, et l'agriculture biologique n'est pas au coeur des préoccupations de la profession en outre-mer. Deuxièmement, il est techniquement plus difficile de produire selon les canons de l'agriculture biologique qu'en agriculture conventionnelle. En milieu tropical, cette difficulté technique est encore accrue, d'autant plus que les producteurs biologiques possèdent des exploitations de taille modeste et disposent de peu de moyens. Les efforts réalisés en matière de développement agricole et d'expérimentation sont limités dans les DOM, même si quelques essais ont eu lieu à La Réunion. On est encore loin de pouvoir développer toute une gamme de produits « bio ». Or, l'agriculture biologique ne constitue pas une filière, mais plutôt un faisceau de filières de production, chacune avec ses propres difficultés techniques. La structuration et l'organisation de l'agriculture biologique sont donc complexes à assurer dans les DOM où les référentiels techniques sont moins abondants qu'en métropole. Le conditionnement en particulier est beaucoup plus difficile à réaliser.Toutefois, la demande de « bio » existe dans les DOM - elle est même prête à se développer davantage - et des candidats à la production existent aussi dans les DOM, si bien que le marché local constitue selon nous l'axe de développement le plus simple et le plus porteur à court terme. En priorité, l'effort devrait porter sur les productions maraîchères et fruitières, ainsi que sur les poules pondeuses pour l'approvisionnement local en oeufs « bio ».Les débouchés à l'extérieur des DOM pour l'agriculture biologique des DOM sont plus incertains, étant donné l'état de la concurrence sur le marché international, qui se résume pour l'essentiel aux États-Unis et à l'Union européenne. Prenons l'exemple du sucre. Il n'existe pas de production de sucre « bio » de betterave. Toute la production de sucre « bio » vient de la canne, principalement du Brésil, première puissance agroalimentaire mondiale qui exporte vers les marchés américains et européens. La surface cultivée en mode biologique est deux fois plus importante au Brésil qu'en France. Elle est particulièrement ciblée sur la production de sucre « bio » qui bénéficie d'avantages très nets par rapport aux DOM. Le foncier est beaucoup plus disponible, le climat brésilien est moins humide car plus continental, les coûts de main d'oeuvre sont beaucoup plus bas. En outre, l'appareil industriel des sucreries brésiliennes s'est spécialisé pour permettre de la production de sucre « bio ». Ce ne pourrait pas être le cas dans les DOM car les quantités de canne produites sont trop faibles pour permettre l'alimentation en flux continu d'une sucrerie spécialement dédiée à la fabrication de sucre « bio ». C'est pourquoi il serait extrêmement difficile pour une production sucrière biologique des DOM de venir concurrencer le Brésil.La banane évite l'écueil de la transformation industrielle mais les Antilles sont concurrencées par la République dominicaine qui emploie une main d'oeuvre, notamment haïtienne, à des coûts en moyenne 16 fois moins élevés. En outre, la République dominicaine bénéfice d'un autre avantage compétitif majeur : ses planteurs peuvent traiter les plantations avec un infiniment plus grand nombre de molécules. Le faible nombre de traitements disponibles sur le marché européen handicape tous les producteurs qui voudraient produire de la banane en mode biologique dans les Antilles françaises.Ceci m'amène à évoquer un point essentiel qui est au coeur de vos préoccupations : la superposition des normes sur les produits phytosanitaires et des règles de l'agriculture biologique. Ces dernières sont émises au niveau international par une association privée basée en Suisse, l'International Federation of Organic Agriculture Movements (IFOAM). Elles ont servi de base au règlement européen relatif à l'agriculture biologique. De même, la République dominicaine s'est dotée d'une réglementation en phase avec les règles de l'IFOAM. Des organismes certificateurs rémunérés par les entreprises mais agréés par les pouvoirs publics français et européens procèdent au contrôle sur place du respect des normes. Ce sont eux qui portent la responsabilité de déclarer telle ou telle production conforme aux principes de l'agriculture biologique. En matière de normes « bio », sur le territoire français, il faut tenir compte du règlement européen, du guide de lecture de ce règlement préparé par le ministère de l'agriculture et l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et de l'action des organismes certificateurs. En pratique, lorsque des doutes, des difficultés d'appréciation, des hésitations sur des cas concrets apparaissent, ce sont les organismes certificateurs qui valident ou pas la conformité à l'agriculture biologique.Un problème supplémentaire se pose pour les productions tropicales : la réglementation européenne sur le « bio » n'a jamais été élaborée en tenant compte des zones tropicales. De ce fait, la production de banane ou de sucre estampillée « bio » n'existe quasiment pas dans l'Union européenne, si ce n'est une petite production de banane « bio » aux Canaries. La République dominicaine et le Brésil ont su définir des règles d'agriculture biologique à la fois conformes aux normes internationales et adaptées au climat tropical. Leurs productions sont validées par des organismes certificateurs européens. L'emploi des produits phytosanitaires est beaucoup plus souple, réactif et en phase avec les innovations ; le délai pour une autorisation de mise sur le marché provisoire est de trois mois et de six mois pour une autorisation définitive, avec un coût faible. En France, au contraire, le processus d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de produits phytosanitaires est extrêmement long, avec l'obligation de constituer des dossiers techniques complexes et onéreux, à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d'euros.Au final, il est beaucoup plus aisé de produire en agriculture biologique en République dominicaine ou au Brésil que dans les DOM. Les normes jouent un rôle, mais il faut convenir que ce n'est que le second frein après le différentiel de coût de main d'oeuvre. Les simulations montrent que, pour compenser cet écart salarial, il faudrait augmenter de 50 % l'aide à l'hectare dont bénéficient les producteurs de bananes européens. Après le marché local et l'export sur des marchés de masse, le troisième axe possible de développement réside dans l'export ciblé de produits « bio » de niche. En 2016 arriveront à Rungis les premiers conteneurs d'une banane « bio » martiniquaise grâce au soutien d'un importateur spécialisé. Mais il convient de souligner que la banane est déjà le principal fruit « bio » consommé en France et dans l'Union européenne et la République dominicaine occupe des positions très fortes sur ce marché en exportant 80 000 tonnes de banane « bio » dont le coût de production est à peine supérieure à celui de la banane conventionnelle. Il faut donc pouvoir se démarquer par des produits particuliers qui soient aussi compatibles avec une exploitation à petite échelle et un développement progressif du savoir-faire. Parmi les niches possibles, on peut mentionner la production de jus de canne biologique pasteurisé en Guadeloupe et un projet de culture biologique de cristophines à La Réunion, même si, pour cette dernière production, se pose le problème du transport sur longue distance.Nous avions émis plusieurs préconisations pour développer l'agriculture biologique dans les DOM. Il convient d'assurer une véritable gouvernance des filières « bio », où l'État devrait jouer un rôle important. Un des soucis majeurs de l'agriculture biologique demeure de se faire accepter par la profession agricole ; seuls le poids et la force d'entraînement de l'État sont capables de faire bouger durablement les lignes. La situation était identique il y a quinze ans en Île-de-France. Il serait utile de créer un volet « bio » au sein des réseaux d'innovation et de transfert agricoles (RITA) en privilégiant une approche inter-DOM pour trouver des synergies et des économies d'échelle. Par ailleurs, les aides du Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) devraient être adaptées pour soutenir la consommation locale de produits locaux dans les outre-mer. Un allègement des contraintes administratives qui pèsent sur les producteurs « bio » serait bienvenu. Je me dois également de rapporter une des revendications des producteurs : le passage à l'octroi d'aides à la surface, plus faciles à gérer, plutôt qu'au produit, qui peuvent être complexes.En matière d'adaptations réglementaires, il nous paraît essentiel de faire comprendre d'abord aux instances françaises, le ministère de l'agriculture et l'INAO, que l'agriculture biologique dans les DOM présente des spécificités, afin qu'ils puissent ensuite porter ce message avec conviction au niveau européen. Sur le fond, il conviendrait d'autoriser les productions « bio » sur claies, au moins en milieu tropical ou équatorial. C'est un débat de fond au sein même du mouvement de l'agriculture biologique, dont l'un des principes fondamentaux est de faire vivre le sol pour faire vivre les plantes. Dans cette acception, il n'est pas question qu'une culture hors-sol, sur claies ou en bac, puisse être considérée comme biologique. Pourtant, la réglementation brésilienne prévoit par dérogation la possibilité de productions biologiques sur claies pour limiter l'impact des parasites et des ravageurs tropicaux très dynamiques. En Europe, il n'existe qu'une dérogation historique demandée par les néerlandais ou les danois sur un certain type de cultures. Cette dérogation ancienne est elle-même contestée et certains demandent son abrogation. Ce débat peut s'entendre en milieu tempéré. Dans les zones tropicales, en revanche, il faut admettre que la production sur claies est un système intelligent pour se prémunir des ravageurs, qui peuvent parfois en une nuit détruire tout un champ, tout en évitant l'emploi des pesticides.Il nous apparaîtrait également intéressant d'accorder plus de facilités aux exploitants « bio » pour recourir à des semences conventionnelles. Il n'existe de dérogation que lorsqu'il n'existe pas de semences certifiées biologiques. Or, il est vraiment difficile pour les producteurs ultramarins d'en disposer. En effet, les plants « bio » ne peuvent pas être facilement importés dans les DOM car ils ne disposent généralement pas des certificats d'importation nécessaires qui nécessitent la réalisation d'analyses sanitaires. Je peux vous donner l'exemple de maïs « bio » importé à La Réunion en provenance de Madagascar, pour lancer un élevage de poules pondeuses. La cargaison est restée bloqué trois mois en attente des contrôles nécessaires et a donc pourri avant d'être utilisée... Pour pouvoir étayer les demandes de dérogations au niveau européen, il faudra au préalable davantage structurer les filières biologiques et parvenir à dégager des synergies entre les DOM. Pour l'instant, on en reste à une production balbutiante par des producteurs peu organisés, voire parfois divisés entre plusieurs associations souvent rivales.Enfin, notre dernière recommandation dont je reconnais qu'elle peut paraître un peu facile est tout de même de mener des actions de promotion et de communication en faveur de l'agriculture biologique dans les DOM. 60 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20160328/outremer.html#par23 14291 56042 commission 2016-03-31 7026 associé du Cabinet AND-International 2016-04-14 03:45:45 2016-04-14 03:45:45 http://www.nossenateurs.fr/seance/14291#inter_dbedbff6f42e8858cd6ddbfc437d50e0