152719 1756 0c8b28c9c7a8f2ee8ce0890cc74fa6df Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale dont nous débattons aujourd’hui aborde un sujet complexe, tant dans son volet scientifique que dans son volet juridique. Par exemple, la référence aux notions de taxon botanique, de transgénèse, de mutagénèse, d’homogénéité, de stabilité ou encore de variété, implique un examen attentif du texte.Au-delà de sa technicité, ce sujet nous rappelle qu’il existe un principe, largement remis en cause au niveau international, que nous devons pourtant toujours défendre : l’interdiction de la brevetabilité du vivant. C’est d’ailleurs au nom de ce principe que vous défendez le certificat d’obtention végétale, un COV que vous présentez comme l’alternative vertueuse au brevet.Toutefois, en l’absence d’une réflexion plus globale sur le droit des brevets, le système du COV risque d’avoir des effets pervers et de porter atteinte aux droits des agriculteurs et des obtenteurs. C’est là notre premier grief contre la proposition de loi.En effet, si les droits conférés par les articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3 du code de la propriété intellectuelle, issus de la loi du 8 décembre 2004 relative à la protection des inventions biotechnologiques, ne s’étendent pas aux actes accomplis en vue de créer ou de découvrir et de développer d’autres variétés végétales – c’est une bonne chose –, la protection associée au dépôt d’un brevet s’étend en revanche à tout acte de commercialisation.Cela signifie que, si un obtenteur peut librement utiliser une variété contenant un gène breveté pour la recherche ou la sélection, il doit, avant de commercialiser des semences d’une nouvelle variété ainsi obtenue, demander l’accord du détenteur du brevet et lui verser des droits de licence, ou extraire les gènes brevetés de sa nouvelle variété.Le brevet sur le gène limite donc l’accès des agriculteurs à l’exception de sélection.En outre, la coexistence du brevet et du COV, combinée aux dispositions du texte relatives à la contrefaçon, est susceptible d’entraîner des sanctions disproportionnées pour les agriculteurs. C’est notre deuxième grief.Il est vrai que l’article L. 613-5-1 du code de la propriété intellectuelle accorde aux agriculteurs le droit d’utiliser des semences de ferme d’une variété contenant un gène breveté, à condition de payer des royalties au détenteur du COV, et non au détenteur du brevet. Toutefois, le gène breveté est facilement identifiable par marquage moléculaire dans la récolte de l’agriculteur.Ainsi, un gène qui ne produit plus d’effet juridique au regard de la propriété intellectuelle n’en constitue pas moins un outil pour faire naître une présomption de contrefaçon. Je rappelle que, en cas de contrefaçon, le COV s’étend également à la récolte et aux produits issus de la récolte.Enfin, dans l’hypothèse de la contamination de sa récolte, l’agriculteur n’est pas concerné par la dérogation de l’article L. 613-5-1. En effet, si l’agriculteur ne prend pas les mesures nécessaires après avoir été informé de l’existence de cette contamination, on considère qu’il a, de manière intentionnelle, mal utilisé des semences de ferme, ce qui entraîne encore la qualification de contrefaçon. L’agriculteur ne peut donc plus utiliser ses semences de ferme si elles sont contaminées.Cela n’est pas une hypothèse d’école : deux agriculteurs du Missouri ont récemment poursuivi le géant des produits pharmaceutiques et chimiques Bayer AG, l’accusant d’avoir contaminé leurs cultures par les gènes modifiés d’une souche expérimentale de riz transformée pour être résistante à l’herbicide de marque Liberty, produite par la même entreprise. Celle-ci a été condamnée à payer 2 millions de dollars aux agriculteurs. Lors du procès, ses avocats eux-mêmes ont admis qu’il n’existait aucun moyen d’arrêter la propagation incontrôlée des cultures génétiquement modifiées.Notre troisième grief concerne les semences de ferme : nous ne sommes pas favorables au dispositif prévu à l’article 14.Les agriculteurs, les paysans jouent un rôle essentiel dans la préservation de la biodiversité et la garantie de l’indépendance alimentaire. À travers les échanges de semences, la transmission de savoirs et la diversification des cultures, les agriculteurs ont permis la conservation et l’utilisation durable des semences et des sols.En commission, les sénateurs de la majorité ont largement évoqué les problèmes de rendement. Toutefois, nous ne partageons pas leur opinion quant aux causes du phénomène constaté. À notre sens, l’érosion, l’épuisement des sols en est l’une des causes majeures, davantage que l’utilisation d’engrais ou de produits phytosanitaires, qui est désormais encadrée.La politique menée aujourd'hui vise à homogénéiser les sols et les plantes, avec la tentation grandissante de recourir aux plantes génétiquement modifiés, les PGM. Par exemple, contrairement à ce qu’il nous a été répondu en commission, certaines aides européennes demeurent conditionnées et subordonnées à l’utilisation de semences certifiées. Je pense notamment à l’aide à la qualité pour le blé dur : pour qu’un agriculteur y ait droit, les semences certifiées doivent représenter au moins 110 kilogrammes par hectare.En ce qui concerne les PGM, que la majorité parlementaire a largement défendues en commission, il faut être extrêmement prudent, même en termes de conséquences économiques. Savez-vous que, si Limagrain souhaite vendre des semences de maïs de ses propres variétés aux États-Unis, il est obligé d’y intégrer les gènes RR et/ou Bt de Monsanto ? Le résultat est simple : Limagrain reverse à Monsanto, sous forme de droits de licence, près de 50 % du produit de ses ventes aux États-Unis. Sinon, il ne vendrait rien !Ce modèle agricole, qui repose sur une monoculture intensive et l’introduction de PGM, qui met notre agriculture aux mains de l’agrobusiness, ne nous convient pas. Or la proposition de loi s’inscrit dans cette logique, ou, du moins, ne donne pas aux agriculteurs et aux obtenteurs les armes suffisantes pour défendre leurs droits.Nos craintes sont cependant légèrement apaisées par l’article 15 bis de la proposition de loi. En effet, les travaux de la commission ont finalement permis d’introduire dans le texte, en application de nos engagements internationaux, l’enjeu premier que constitue la diversité biologique.En 1992, la Convention sur la diversité biologique a défini les principes du consentement préalable et du partage des bénéfices issus des exploitations des agriculteurs. Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, le TIRPAA, approuvé par l’Union Européenne en 2004 et dont la ratification a été autorisée par le Parlement français en 2005, a mis en place un système multilatéral d’accès qui permet à chaque partie d’avoir un accès facilité aux ressources des autres parties, sous réserve de réciprocité. Ces échanges constituent une véritable richesse.Il est fondamental de prendre en compte les droits garantis par ces traités dans la législation tant européenne que nationale. Or l’autorisation très encadrée des semences de ferme ne nous semble précisément pas conforme à nos engagements internationaux.En outre, la généralisation de la cotisation volontaire obligatoire, la CVO, risque d’augmenter les charges, déjà lourdes, des agriculteurs ; le prix d’achat élevé des semences certifiées devrait largement suffire. Au vu des services que rendent les agriculteurs en produisant des semences de ferme, cette pratique comportant des avantages tant du point de vue environnemental – absence de transport, diversité cultivée, traitements phytosanitaires non systématiques – qu’en termes d’indépendance alimentaire, nous défendons le principe de la gratuité de l’utilisation des semences de ferme.Enfin, notre quatrième et dernier grief tient au fait que le système mis en place ne permet pas de garantir que la recherche se fera au service de l’intérêt public.Il est tout à fait acceptable que les recherches menées par les obtenteurs soient protégées et rémunérées ; ce peut être le cas lors de l’achat de la semence certifiée. Cependant, les sommes fléchées par les obtenteurs vers les postes de recherche ne sont pas connues avec précision, et, d’autre part, l’objectif premier de l’obtenteur est non pas de faire de « la » recherche mais de faire « des » recherches qui lui permettront d’optimiser son activité commerciale.C’est pourquoi il est essentiel de donner à la recherche publique les moyens nécessaires à l’exercice de ses missions. Or c’est loin d’être le cas : à cause de la révision générale des politiques publiques, qui s’est traduite, pour l’INRA, par le gel de 40 postes en 2011 et la baisse très importante du soutien de base alloué aux départements de recherche, ainsi que l’ont dénoncé les quatre syndicats de l’organisme au début de l’année, l’Institut national de la recherche agronomique n’est plus en mesure d’assumer ses missions de recherche agronomique publique.Enfin, nous sommes sceptiques quant à l’utilité de légiférer en urgence, alors que de nouvelles règles seront bientôt proposées par la Commission européenne. À ce titre, l’amendement n° 57 rectifié, déposé par le Gouvernement, qui est censé préfigurer ces évolutions potentielles, actuellement en discussion dans le cadre de la révision de la réglementation européenne sur les semences et plants, nous paraît inopportun en l’état. 10100 http://www.senat.fr/seances/s201106/s20110629/s20110629_mono.html#par_1386 396 6223 loi 2011-06-29 203 2011-11-06 01:13:59 2011-11-06 01:13:59 http://www.nossenateurs.fr/seance/396#inter_0c8b28c9c7a8f2ee8ce0890cc74fa6df