Droit de Panorama en France
Débats à l'Assemblée nationale sur l'amendement 22 au projet de loi Copie Privée (23/11/11)
Télécharger la vidéo :
MP4,
WebM,
Ogg
HTML5 Video Player by VideoJS
Informations complémentaires :
- L'amendement 22 de Lionel Tardy et Jean Dionis du Séjour
- Le résultat détaillé du scrutin
- Rendre aux Français leur paysage architectural — Tribune dans Le Monde de Rémi Mathis, président de Wikimédia France
Compte-rendu complet du débat :
Extrait de la séance du 23 novembre 2011 à 21h45 commentable sur NosDéputés.fr
Nous en venons à plusieurs amendements portant articles additionnels après l'article 1er.
La parole est à M. Lionel Tardy pour soutenir l'amendement n° 22 .
Cet amendement peut apparaître comme étant un peu hors sujet, mais il ne l'est pas tant que cela puisqu'il a pour objet de créer une exception au droit d'auteur. Je tiens en effet à profiter de l'examen de ce texte pour proposer une amélioration qui devrait, selon moi, rencontrer l'unanimité parmi mes collègues puisqu'il s'agit de favoriser la diffusion et le rayonnement de l'art contemporain en France.
Monsieur le ministre, si vous vous faites photographier sur le balcon de votre bureau avec les colonnes de Buren en arrière-plan, vous n'avez pas le droit d'utiliser cette photo sans l'autorisation de Daniel Buren puisque son oeuvre est protégée par le droit d'auteur. Avouez que c'est absurde et quelque peu ridicule. Le sujet n'est pas anodin car la publication de photographies d'oeuvres d'art contemporain et de bâtiments d'architecte sur Internet se trouve ainsi bloquée à cause de ce risque de procès pour contrefaçon. Nombre d'architectes et d'artistes contemporains sont pénalisés car leur oeuvre n'est pas visible sur Internet, tout cela pour préserver le principe du droit exclusif dont ils ne tirent pas grand-chose, voire rien, en termes de revenus financiers.
Plusieurs pays européens ont au contraire inscrit dans leur droit une exception au droit d'auteur appelée « liberté de panorama ». Je propose de les suivre et de mettre fin à une situation ubuesque qui ne peut que nuire au principe même du droit d'auteur.
Vos propos, mon cher collègue, me semblent quelque peu exagérés. Puis-je vous rappeler en effet que certaines dispositions en vigueur permettent déjà de satisfaire en partie votre amendement ?
Depuis la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, l'article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle autorise « la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une oeuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate. » En outre, la jurisprudence a permis de faire émerger ce que l'on appelle la théorie de l'accessoire. Ainsi, la représentation d'une oeuvre située dans un lieu public qui est accessoire au sujet traité échappe à la qualification de contrefaçon pourvu qu'elle soit fugitive.
J'émettrai donc un avis défavorable sur cet amendement.
Monsieur Tardy, l'attention méticuleuse – dont on ne peut que se féliciter car elle enrichit les débats – que vous portez sur le plan juridique au travail de cette Assemblée, tend parfois à devenir vétilleuse...
..et excessive.
L'avis défavorable rendu par Mme la rapporteure me semble justifié : la liberté de photographier certaines oeuvres, que vous appelez de vos voeux, est d'ores et déjà acquise en droit français. Avec ce que vous proposez, vous allez un petit peu loin.
Nous ne voterons pas cet amendement car, quitte à me répéter, ce n'est pas parce qu'il faut régler un problème urgent avant le 22 décembre prochain que nous devons par la même occasion créer ex nihilo de nouvelles exceptions au droit d'auteur.
Je ne dis pas qu'il faut que la main tremble dès que l'on se saisit de questions de propriété intellectuelle, littéraire ou artistique, mais on ne peut créer soudainement un soir, à vingt-trois heures trente passées, une telle exception sans en avoir au préalable discuté avec les auteurs eux-mêmes, notamment ceux en arts visuels que sont les peintres, les sculpteurs, les illustrateurs, les architectes, les designers et les photographes. Nous sommes plusieurs ici, en particulier Martine Billard et Jean Dionis du Séjour, à avoir participé aux débats sur la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite loi DADVSI, qui annonçait la loi HADOPI.
Nous avions alors essayé d'élargir la liste des exceptions au droit d'auteur, en respectant les marges de manoeuvre que nous laissait la directive pour sa transcription dans notre droit interne. Mais encore fallait-il que l'intérêt général soit prédominant. Autant en effet l'on peut discuter de l'opportunité de créer des exceptions au droit d'auteur à des fins d'enseignement, de recherche, bref pour des objectifs d'intérêt général, autant on ne peut accepter de le faire pour un intérêt particulier, en l'occurrence, puisqu'il faut appeler les choses par leur nom, celui de Wikipédia. Cet amendement, baptisé gentiment « liberté de panorama », est en effet un « amendement Wikipédia ».
Au minimum en tout cas, une étude d'impact serait nécessaire, incluant le fameux test en trois étapes. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir comment se concrétise cette liberté de panorama dans les pays européens dont on nous parle sans les citer.
Aujourd'hui, les ayants droit, notamment des architectes, ont des droits sur les oeuvres exposées au vu et au su de tout le monde pendant soixante-dix ans après la mort de l'artiste. C'est non seulement exorbitant, mais archaïque. Qu'attend-on pour adopter en la matière la législation des pays européens ?
Je m'étonne en particulier de la réaction de Patrick Bloche, dont je partage en général les analyses. Wikipédia, ce n'est pas rien. Ce portail représente une percée majeure pour l'élaboration et le partage du savoir. Que l'on appelle cet amendement « l'amendement Wikipédia » ne me gêne pas. L'important en effet est que la question soit posée : pourquoi certains pays européens considèrent-ils que photographier par exemple la pyramide du Louvre est un droit, et pas nous ? C'est vraiment faire preuve d'un archaïsme injustifié.
Loin d'être anodin, cet amendement mérite donc d'être débattu autrement que jusqu'à présent, car je n'ai pas entendu beaucoup d'arguments de fond pour le repousser.
Nous sommes là devant une difficulté que l'on a déjà connue à l'occasion d'autres débats concernant la culture, je veux parler de la question des oeuvres photographiques. Je ne me sens pas le droit à cette heure-ci, sans une étude d'impact et sans une discussion avec tous ceux qui travaillent dans la photographie, de prendre une décision en la matière sans pouvoir en mesurer les conséquences.
On le sait, le secteur connaît de grandes difficultés, sachant déjà que les photographes ne gagnent pas de grandes fortunes. Aussi le fait que les conséquences de cet amendement, notamment en termes de distribution commerciale, ne soient pas plus précises, me pose-t-il un problème, d'autant que des sites de photographes existent déjà qui mettent les oeuvres à disposition sous licence Creative Commons .
Si un vrai problème se pose, je ne voterai pas l'amendement en l'absence d'une étude sur les conséquences d'une telle proposition pour tout un secteur.
Toutes les interventions que nous venons d'entendre sont intéressantes et soulèvent des questions essentielles, mais celles-ci méritent un débat de fond sur la copie privée, deuxième mouture. Il en va notamment de la question concernant la photographie évoquée par Mme Billard, domaine dans lequel je crois m'être beaucoup investi.
Je le rappelle, il ne s'agit pas ce soir de reconstruire en quelques heures l'exception de copie privée. Cela exigera un débat plus long, plus complexe, dans lequel les réflexions des uns et des autres viendront enrichir une nouvelle construction juridique dont on espère qu'elle vivra aussi longtemps sous sa deuxième mouture que sous sa première. Le fait de vouloir poser des questions de fond d'une manière très superficielle, sans contre-expertise, même si on y a beaucoup réfléchi, me semble contre-productif.
Je me suis engagé très fermement auprès de la commission à engager ce débat le plus vite possible. Pour l'instant, nous avons une obligation, qui est de défendre les droits des créateurs pour qu'ils ne soient pas lésés dans leurs droits à partir du 22 décembre.
En dépit des demandes d'intervention que je vois pousser comme les champignons après la pluie (Sourires), je persiste dans cette manière de voir car elle me semble plus juste pour les droits des créateurs sur lesquels nous nous penchons ce soir.
En France, les oeuvres – monuments, sculptures, peintures murales - sont protégées par le droit d'auteur, même, et c'est tout l'intérêt de cet amendement, quand elles sont situées dans la rue : il est impossible d'en publier des photographies sans autorisation de l'auteur ou de ses ayants droit. Par exemple, publier sur un blog une photo de la Géode, du Stade de France, du musée d'Orsay ou du Centre Pompidou devrait normalement donner lieu à une demande préalable et à un paiement de redevance. Encore faut-il, comme dans ces exemples, que les architectes soient connus. Voyez l'absurdité quand il s'agira de demander l'autorisation aux ayants droit de celui qui a bâti telle mairie dont personne ne connaît le nom !
Puisque l'on a demandé des noms, je rappelle que des pays comme l'Allemagne, l'Espagne, l'Irlande, Israël ou le Pérou ménagent une exception au droit d'auteur copyright pour les bâtiments ou les oeuvres d'art qui sont situés dans la rue. Tel est bien le sens de l'amendement « liberté de panorama ».
Sur le vote de l'amendement n° 22 , je suis saisi par le groupe Nouveau Centre d'une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean Dionis du Séjour.
Marcel Rogemont et Martine Billard ont reproché le manque d'étude d'impact. On peut entendre cet argument. Pour autant, ce que nous voulons c'est profiter de la dynamique parlementaire pour créer le mouvement, car on a le temps pour cela : entre les deux navettes, le Sénat pourra réaliser l'étude d'impact pendant que, de notre côté, nous pourrons continuer à travailler.
Toute la question aujourd'hui est donc simplement de savoir si, oui ou non, on veut faire évoluer une législation exorbitante et archaïque. Il nous appartient, en tant qu'assemblée souveraine, de mettre la France au niveau du droit européen en instaurant la liberté de panorama. Tel est le seul objectif.
Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur l'amendement n° 22 .
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 30
Nombre de suffrages exprimés 30
Majorité absolue 16
Pour l'adoption 7
Contre 23
(L'amendement n° 22 n'est pas adopté.)